Après plus de vingt-quatre heures de violents affrontements avec la police, des milliers de manifestants ont célébré samedi après-midi et hier la reconquête de la place Taksim, au cœur d'Istanbul, en raillant leur cible favorite, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Sitôt engagée la marche arrière sous les sifflets, des policiers en tenue antiémeute, la foule s'est déversée à flots continus sur la place en criant victoire. D'identiques clameurs se sont aussitôt déclarées dans d'autres villes turques. Dans cette foule vibrante, tous les bords politiques anti-islamistes sont représentés : de la droite nationaliste à l'extrême gauche, de pratiquants aux laïcs purs et durs, avec des drapeaux multicolores et des clins d'œil au père de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk. Ainsi, partout, la colère accumulée contre le gouvernement islamo-conservateur du Parti de la démocratie et du développement (AKP) au pouvoir depuis 2002, accusé de vouloir “islamiser" la société turque, se déverse sans retenue. L‘appétit venant en mangeant, l'AKP a, en effet, fini par tomber son masque pour avancer dans ses projets sociétaux. Son gouvernement fait pression sur tout : de l'alcool à la mixité, en passant par les libertés fondamentales arrachées de haute lutte contre les militaires qui avaient fait le lit de l'islamisme avec leur pouvoir anti-démocratique. L'AKP ne s'attendait pas ce que le mouvement contre sa série d'interdictions ait pris une telle ampleur. Tayyip Erdogan, son numéro un et chef du gouvernement à son troisième mandat consécutif, était convaincu que son succès économique libéral allait faire passer ses ambitions comme une lettre à la poste. Comme il ne peut pas postuler pour un nouveau mandat, il a envisagé de se présenter à la magistrature suprême après avoir révisé la Constitution. Tayyip Erdogan, ne se contentant pas d'un poste symbolique, veut instaurer un régime présidentiel avec tous les pouvoirs y afférents. Malgré l'euphorie ambiante à Istanbul, Ankara et autres grandes villes, les anti-AKP restent prudents. Ils ont remporté une bataille, mais certainement pas la guerre déclarée au gouvernement islamiste. Après sa défaite à la place Taksim, Tayyip Erdogan a concédé que les victoires électorales écrasantes de son parti ne constituaient pas “un ticket pour imposer la volonté de la majorité à une minorité". Même si aujourd'hui il a dû admettre que les Turcs ne sont pas des moutons, Tayyip Erdogan a plus d'un tour dans son sac. Il ne se laissera pas tomber facilement. Les manifestants le savent et jurent de ne pas se laisser désarmer : “Taksim est partout, la résistance est partout", ont-ils entonné. Partie d'un petit groupe de militants associatifs, la contestation populaire qui a embrasé Istanbul et d'autres villes de Turquie a agrégé la colère d'une population excédée par un gouvernement qui monopolise tous les pouvoirs depuis dix ans. De l'extrême gauche à la droite nationaliste, c'est tout le spectre politique turc qui s'est rejoint samedi pour envahir la place Taksim et célébrer aux cris de "dictateur démission !" la défaite du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan face à la rue. Tous ont exprimé la colère accumulée contre la politique du gouvernement islamo-conservateur, exacerbée par la violence de la répression policière. D. B Nom Adresse email