La Turquie n'a jamais été si nationaliste qu'aujourd'hui, et le culte d'Atatürk qui fait partie intégrante de ce nationalisme a fini par gagner les dirigeants de l'AKP qui, à l'épreuve du pouvoir, se sont rendus compte que vouloir enterrer Atatürk relève du rêve. Plus de sept décennies après sa mort, il semble toujours vivant. Son portrait trône partout et ses principes sont même repris par le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan ! Mercredi dernier, le pays s'est donc, comme chaque année, figé une minute en mémoire du général Mustafa Kemal, autrement nommé Atatürk (père des Turcs), mort d'une cirrhose du foie le 10 novembre 1938. À Ankara, la capitale, gouvernement au grand complet, état-major de l'armée, représentants des grands corps de l'Etat, puis des milliers de Turcs se sont rendus au gigantesque mausolée, de style néo-classique, qui abrite la dépouille du fondateur de la Turquie moderne dont le bras de la statue est tendu vers l'Europe. Comme pour montrer à son peuple la direction à suivre. Car, c'est en Europe que dans les années 1920 et 1930, Mustafa Kemal a puisé une grande partie de son inspiration pour fonder la Turquie moderne. Avec six grands principes : républicanisme, populisme, laïcisme, révolutionnarisme, nationalisme et étatisme. Et personne, aujourd'hui, n'a à redire sur ces “six flèches d'Atatürk”. Pas même le parti islamiste majoritaire, qui tient et le gouvernement et la présidence de la République, qui n'a pas pu déroger à ce culte d'Atatürk ; pas même dans les écoles, où tous les lundis matin, les élèves s'alignent face à son effigie pour faire le serment d'offrir leur existence à la Turquie. Une hérésie pour les islamistes sous d'autres cieux. L'atteinte au kémalisme est punie par l'article 301 du code pénal. En 1970, les islamistes ont cassé une de ses statues à Istanbul, pour la raison que l'islam interdit l'idolâtrie. Mal leur en pris : leur parti est dissous, ils ont dû inventer un autre. L'armée, gardienne de l'héritage kémaliste, ne tergiverse pas sur les fondamentaux, même si, aujourd'hui, elle n'a pas plus les mains entièrement libres comme autrefois. Les islamistes ont eux aussi baissé leur prétention à dékamaliser. Au point que l'actuel président de la République turque, Abdullah Gül, ex-ministre des AE dans le gouvernement d'Erdogan, également membre fondateur de l'AKP, a enlevé le vieux portait d'Atatürk du bureau. Et puis, chaque fois que les islamistes ont tenté de rogner la laïcité, ils se sont trouvés face à de gigantesques manifestations avec des portraits d'Atatürk. La Turquie n'a jamais été si nationaliste qu'aujourd'hui, et le culte d'Atatürk qui fait partie intégrante de ce nationalisme a fini par gagner les dirigeants de l'AKP qui, à l'épreuve du pouvoir, se sont rendus compte que vouloir enterrer Atatürk relève du rêve. Seule la gauche libérale ose encore s'en prendre à l'icône de la Turquie. Comme ceux de la droite islamique, les partisans de la gauche libérale ont été victimes des quatre coups d'Etat militaires et de la tutelle de l'armée sur la vie publique (1960, 1971, 1980, et le coup d'Etat dit postmoderne en 1997). Mais le parti de l'icône, le Parti républicain du peuple (CHP), n'a pas la même aura que son concepteur. Ses rivaux, et ils sont nombreux, disent les partisans héritiers du kémalisme sont bloqués, incapables d'imaginer le kémalisme du XXIe siècle. Le CHP s'est encroûté dans un nationalisme primaire, alors que, par opposition, les islamistes de l'AKP ont enfourché la voie de la mondialisation et avec succès, à regarder l'économie de la Turquie et la montée en puissance des classes moyennes. Le pays se transforme chaque jour. Les jeunes militants du CHP accusent la vieille garde d'avoir laissé le champ libre à Erdogan qui a récupéré des principes du kémalisme.