Les grands argentiers algériens sont inquiets et ils ne s'en cachent même plus. Après Karim Djoudi en mai dernier, c'était au tour de Mohamed Laksaci, la semaine dernière, d'actionner le signal d'alarme et de délivrer un avertissement sans ambiguïté sur la vulnérabilité de notre balance des paiements. C'est sans aucun doute sur fond d'intenses tractations dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de finances complémentaire pour 2013 que se situent les interventions récentes, et convergentes, des principaux responsables économiques algériens. Le gouverneur de la Banque d'Algérie n'a pas l'habitude de faire des rapports sur la situation trimestrielle de la balance des paiements. En temps normal, il aurait attendu la rentrée de septembre prochain pour commenter de façon classique la conjoncture monétaire et financière de l'Algérie au premier semestre 2013. Il faut croire que la situation n'est pas "normale" et qu'elle exigeait, au moins, la mise en garde très ferme formulée au cours de la semaine dernière . A la veille de l'été et dans le contexte de la préparation de la LFC pour 2013, Mohamed Laksaci cherche clairement à prendre date et à délivrer un avertissement. "L'économie algérienne est face à un choc externe similaire à celui de 2009, qui est aggravé par une baisse substantielle du solde de sa balance des paiements sur fond d'un recul de ses revenus pétroliers". La baisse des prix du brut, conjuguée à une réduction encore plus marquée des quantités exportées, ont réduit les recettes d'hydrocarbures de l'Algérie de plus de 3 mds de dollars rien que pour le 1er trimestre 2013. Elle se produit alors que les importations ont poursuivi leur tendance à la hausse. Résultats des courses : l'excédent de la balance des paiements, qui était encore supérieur à 4 milliards de dollars au premier trimestre 2012, a quasiment disparu au cours des 3 premiers mois de 2013. La mise en garde du gouverneur de la Banque d'Algérie est claire. Elle est exprimée dans des termes d'une brutalité inhabituelle : "Cette situation n'est pas soutenable et elle représente un risque de forte vulnérabilité pour la balance des paiements". Voila pour ce qui est dit ouvertement et qui n'est déjà pas anodin. Les réserves de change ont commencé à diminuer... Il y a aussi ce que M. Laksaci ne dit pas aussi clairement. En particulier que les réserves de change de l'Algérie ont diminué de plus d'un milliard de dollars entre la fin 2012 et mars 2013. Il s'agit d'un événement parce que c'est la première fois que cela se produit en plus d'une décennie. Depuis le début des années 2000, on s'était habitué à ce que chaque semestre apporte sa bonne nouvelle en matière d'augmentation des réserves de change du pays. Elles étaient même appelées ,selon certains analystes internationaux, à dépasser 200 milliards de dollars dès 2012, voire 300 milliards de dollars vers 2020. Fin 2012, on avait déjà enregistré une première alerte, avec un tassement des réserves un peu au dessus de 190 milliards de dollars. Le tournant pris depuis le début de 2013 pourrait bien être historique. Plus qu'une déception conjoncturelle, la mise en garde du gouverneur de la Banque d'Algérie masque surtout en effet des tendances inquiétantes. Depuis l'année dernière, on est sans doute déjà entré dans un processus de tassement de nos réserves de change qui pourrait, selon plusieurs experts, précéder leur réduction, voire leur disparition complète dans un horizon à peine supérieur à une décennie. On peut rappeler notamment le rapport publié au début de l'année par les experts du groupe Nabni. Il évoque le scénario de réserves de change de notre pays qui "commenceront à baisser à partir de 2016 et risquent de s'épuiser autour de 2024, ce qui à partir de cette date nous obligera à nous endetter pour financer nos déficits commerciaux". Un scénario qui, malheureusement, semble devoir se réaliser plus tôt que prévu. C'est en tous cas la conviction exprimée par M. Ahmed Benbitour, que nous avons rencontré voici quelques jours, qui sait de quoi il parle, et qui considère que les prévisions de Nabni sont encore trop optimistes et qu'elles pourraient se réaliser dès 2020 si rien n'est fait pour modifier le cours des évènements... Une économie algérienne qui vit au-dessus de ses moyens ? Pour comprendre les enjeux du débat en cours au sein même des cercles dirigeants algériens, il faut rappeler tout d'abord que l'Algérie a encore exporté pour près de 17,5 milliards de dollars au cours des 3 premiers mois de l'année avec un cours du baril qui s'est situé, quand même, au niveau encore substantiel de 109 dollars. Ce qui permet d'espérer des recettes d'environ 70 milliards de dollars sur l'ensemble de l'année 2013. Le problème c'est que même ces niveaux de recettes considérables et ces cours du pétrole record ne suffisent plus à satisfaire la boulimie d'importation de l'économie algérienne. En 2012, les réserves de change ont quasiment stagné parce que nous avons battu des records d'importation avec plus de 48 milliards de dollars de marchandises et 11 milliards de services. En 2013, les réserves ont commencé à baisser parce qu'on est en route vers des importations de marchandises qui vont crever pour la première fois le plafond des 50 milliards de dollars. Pour réaliser ces niveaux d'importation, l'Algérie devra donc non seulement utiliser ses revenus annuels mais également commencer à puiser dans les économies qu'elle a réalisées au cours de la décennie écoulée ! Prise de conscience C'est probablement la prise de conscience toute récente de cette menace par le gouvernement algérien et la montée au créneau de ses deux principaux argentiers qui pourrait être dans l'avenir à l'origine d'un virage économique important marqué par le retour à une plus grande rigueur financière. Le gouverneur de la Banque d'Algérie n'est en effet pas le seul à tirer la sonnette d'alarme. Une série de déclarations récentes du ministre des Finances, M. Karim Djoudi, semblent indiquer que le gouvernement algérien tente de préparer le terrain pour un retour à plus de rigueur dans la gestion des excédents financiers. Dès le jeudi 9 mai, et pour la première fois depuis plusieurs années, le ministre des Finances avait brûlé la politesse à son collègue de la Villa Joly en évoquant l'hypothèse d'une baisse possible des recettes pétrolières. Une perspective qui doit, selon lui, se traduire "par une prudence plus grande en matière de conduite de la politique budgétaire". Le projet d'augmentation prévue de l'allocation touristique, une mesure dont le coût annuel était estimé à environ 2 milliards de dollars, a été, en raison d'une balance des paiements devenue brutalement beaucoup plus fragile, la première victime de ce nouveau contexte financier et psychologique au sein de l'exécutif algérien. Karim Djoudi a déclaré, fin avril, qu'elle n'est plus à l'ordre du jour. Une première décision qui pourrait en annoncer d'autres. H. H. Nom Adresse email