"Malgré quelques changements, on a gardé des dispositions en contradiction avec les standards internationaux." Le constat mitigé du bâtonnier d'Alger laisse présager que l'on n'a pas fini d'entendre parler en Algérie de l'organisation de la profession d'avocat. À suivre... D'après l'invité du forum de Liberté, le préambule même de la nouvelle loi portant statut de l'avocat annonce sa couleur résolument "répressive". "L'absence de référence au droit constitutionnel est suppléée dans ce préambule par une référence au code pénal. Ce qui équivaut à un avertissement en bonne et due forme puisque le code pénal contient surtout des infractions et des crimes..." D'après lui, ces velléités à museler les avocats et à les mettre sous tutelle remontent précisément à l'année 1999. À l'en croire, il s'agit d'un véritable acharnement face auquel les avocats se sont toujours, d'après lui, rebellés. "Il y a eu plusieurs projets de loi, et à chaque fois, les ordres et les avocats se sont dressés pour refuser le diktat. Nous avons décelé une volonté manifeste d'attenter au libre exercice de la défense." Pour le bâtonnier d'Alger, la loi de 1991 reste une "référence" qui garantit réellement l'immunité professionnelle de l'avocat. Aujourd'hui, le nouveau statut proposé par les pouvoirs publics est, selon lui, en net recul par rapport aux garanties dont disposaient, jusque-là, les droits de la défense. Ce qui dérange le plus les robes noires semble être cette volonté de circonscrire la liberté de parole dans les prétoires. "Ainsi, l'avocat ne pourra plus s'élever contre une procédure irrégulière, une arrestation arbitraire ou autre. Ceci dit, nous ne sommes pas des super citoyens. Un avocat doit être seulement en mesure de dire à un magistrat (ou à une autorité) qu'il a enfreint la loi et de dénoncer ses hérésies. Son immunité professionnelle et donc sa liberté de parole est à même d'assurer un procès équitable pour le justiciable." En effet, le délit d'audience institué par l'article 24 du projet de loi portant organisation de la profession d'avocat assimile la moindre intervention de l'avocat à un "outrage" susceptible d'être poursuivi pénalement. Et cela, nonobstant ses interprétations abusives... Quant à l'article 9, celui-ci empêche tout simplement l'avocat de se retirer de l'audience, et au cas où il viendrait à quitter le procès, pour une raison ou une autre, il aurait alors à subir des poursuites pour "faute grave". À entendre les nombreuses récriminations du bâtonnier d'Alger, il y a tout lieu de croire que lors du déroulement d'un procès, l'avocat n'aurait, dans le cas d'espèce, aucune possibilité de mettre fin à la dérive d'un magistrat qui ne ferait pas respecter l'équité ou encore l'application de la loi. À ce sujet, il dénoncera le comportement de certains magistrats zélés qui, selon lui, tend aujourd'hui à se généraliser dans les tribunaux. Pour maître Sellini, il n'y a aucun doute que certains magistrats, imbus de pouvoir, veuillent rabaisser les avocats : "Pour se montrer autoritaires, certains utilisent un langage de rue en pleine audience publique. Ce genre de pratiques dessert la justice plus qu'autre chose." L'avocat se montrera même un brin nostalgique : "En d'autres temps, le respect était mutuel. On n'avait jamais vu auparavant un magistrat restreindre la parole d'un avocat ou lui demander de sortir d'audience ou encore de lui faire des reproches déplacés." Il estime par ailleurs que dans le rapport préliminaire de la loi, il y a eu un revirement. "On a retiré les attributions des assemblées générales des avocats qui leur permettaient de donner leurs avis sur les textes de loi régissant leur profession. Ce qui est contraire aux règles universelles, notamment à la Charte de Turin reprise par la Charte de l'ONU..." Parmi les aberrations relevées dans le projet de loi en question, Me Sellini citera notamment le fait qu'un avocat peut siéger comme membre du conseil de l'ordre après seulement sept ans d'exercice. En devenant, ainsi, responsable de l'administration de la profession, il peut alors sanctionner un encadreur de stage qui, lui, doit avoir exercé plus de dix années. Au-delà de ce non-sens, Me Sellini veut simplement démontrer que ceux qui sont à l'origine de ce projet de loi sont en total décalage avec la pratique du métier d'avocat et que ce texte même, tel qu'approuvé par l'APN, sera inapplicable, à l'épreuve du terrain, et ce, dans plusieurs de ses dispositions. "Ce texte restera de l'encre sur papier", prédit-il. Me Sellini reproche notamment aux députés, donc aux "législateurs" de s'être immiscés dans une profession spécifique et cela sans disposer d'aucune compétence particulière ni d'aucune attache avec l'exercice du métier d'avocat. Revenant enfin sur l'imbroglio qui a caractérisé le vote de cette loi très controversée et notamment sur la "réunion d'apaisement" tenue la veille avec le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Mohamed Charfi, le bâtonnier d'Alger, a délivré, somme toute, son satisfecit quant aux positions exprimées par la chancellerie. Il considère, ainsi, que l'actuel ministre est plutôt respectueux des droits de la défense. "Il faut le reconnaître, le ministre a respecté ses engagements. À la demande de la défense, il a contribué à trouver un accord acceptable", soutient-il. Mieux encore, Me Sellini affirme que M. Charfi a défendu un certain nombre de dispositions qui vont dans le bon sens et que c'est à lui que les avocats doivent la mouture actuelle du projet de loi. "En toute honnêteté : par rapport à ses prédécesseurs, l'actuel ministre est imprégné des valeurs réelles qui caractérisent la justice. Est-ce que cela sera suffisant ? Pourra-t-il matérialiser cette conception ? En tout cas, ce n'est pas le projet de loi qu'on avait convenu avec lui au départ..." Il rappellera qu'après la séance plénière de l'APN, les avocats ont aussitôt présenté leurs griefs. Le rapport complémentaire adopté par la suite a "rétrocédé" un certain nombre de droits, reconnaît-il. Aussi, d'après lui, une grande partie des bâtonniers estime que "l'essentiel a été sauvé" : "Oui, on a récupéré quelques droits." Est-ce pour autant que la protesta des avocats va baisser d'ampleur ? Pour maître Sellini, rien n'est moins sûr : "Je suis certes un bâtonnier, mais je ne suis qu'un avocat. Je reste un élu. Les assemblées générales trancheront. Je n'ai rien à imposer. Les avocats s'exprimeront, je ne peux, moi, décider à leur place. Les avocats doivent se déterminer par rapport à cette loi. Nous préparons de notre côté une étude comparative avec les pays voisins pour démontrer au pouvoir qu'on est loin des attentes." Il révélera que la quasi-majorité des avocats d'Alger voulait sortir dans les rues et avoue qu'il a transgressé les règles démocratiques en empêchant cette action de protestation. "Les avocats sont mécontents et peuvent me désavouer à cette occasion car je n'ai pas respecté la volonté de la majorité. Mais je l'ai fait en tant que responsable car l'Algérie passe avant tout." Arguant du contexte difficile que traverse le pays et de la nécessité d'éviter toute manipulation, Me Sellini estime que les avocats doivent accepter tous les sacrifices pour la préservation de la paix sociale et la stabilité du pays. Bio express Né le 31 mai 1950 à M'daourouche, dans la wilaya de Souk-Ahras, Abdelmadjid Sellini est titulaire d'une licence en droit obtenue à la faculté d'Alger. En 1976, il embrasse une carrière dans la magistrature où il occupera différentes fonctions. Il devient avocat en mars 1980. En 2002, il est élu bâtonnier de l'Ordre des avocats d'Alger. M. Sellini a également effectué deux mandats à la tête de l'Union nationale des barreaux d'Algérie. M.-C. L. Nom Adresse email