Cela fait longtemps, bien longtemps que la croissance économique en Algérie est molle, coûteuse et éphémère. Molle car elle se situe bien en deçà des potentialités du pays, coûteuse car elle est essentiellement le fait de dépenses publiques abyssales et qui sont bien loin de produire leur rendement optimal ; elle est éphémère car elle repose sur une seule source de financement qui plus est, est volatile, aléatoire, non renouvelable et en voie d'épuisement : les hydrocarbures. D'un autre côté, cette croissance repose depuis toujours sur une relance de la demande notamment publique et a ignoré jusqu'à présent l'acteur principal de la création de richesse : l'entreprise. D'un autre côté, une demande intérieure explosive avec une offre rigide conduit bien évidemment à une augmentation considérable et incessante des importations. Une situation d'autant moins acceptable que cette offre rigide s'accompagne de grandes capacités de production installées mais oisives. Comment faire pour qu'enfin on puisse avoir en Algérie une croissance économique robuste, vigoureuse et durable à la mesure de toutes les potentialités que recèle le pays ? Y aurait-il un "modèle" universel de croissance, un protocole thérapeutique, comme disent les médecins, dont pourraient bénéficier l'Algérie, ce pays qui a réduit son dynamisme au "tout acheter à l'extérieur", croyant à tort que pour un pays pétrolier "tout s'achète" ? Une étude, ou plus exactement un rapport publié à la fin du mois de mai 2008 par une commission créée et épaulée par la Banque mondiale (la commission "Croissance et Développement") et qui a travaillé deux ans durant, a abouti à des conclusions fort intéressantes pour notre préoccupation. Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler les conclusions de cet intéressant rapport dans d'autres espaces. L'actualité du débat dans notre pays nous incite à y revenir tant l'éclairage qu'il fournit mérite d'être rappelé. Cette commission était présidée par le Nobel d'économie américain Michael Spence (un libéral orthodoxe) et composée de 19 sommités dont un autre prix Nobel Robert Solow, d'anciens chefs d'Etat ou Premiers ministres (l'ancien Président du Mexique, les anciens Premiers ministres du Pérou et de Corée du Sud), l'administrateur du Pnud et ancien ministre des Finances turc Kemal Dervis, le président de CitiGroup, le gouverneur de la Banque de Chine, le président de l'Autorité monétaire de Singapour, le gouverneur de la Banque centrale d'Indonésie, le ministre des Affaires étrangères du Chili. Cette commission avait pour objet de se pencher sur un phénomène qui ne s'était jamais produit avant le milieu du XXe siècle : depuis 1950, treize pays ont connu un fort taux de croissance de 7 % par an sur une période de 25 années d'affilée au moins. Parmi les 13 pays étudiés, il y a la petite île de Malte et le géant chinois, un temple du libre-échange comme Singapour et une économie très dirigée comme la Malaisie. Les autres pays du groupe sont la Corée du Sud, le Japon, l'Indonésie, Taiwan, la Thaïlande, le Brésil, le Botswana, Hong Kong et le sultanat d'Oman. Les principales conclusions auxquelles est parvenue la commission sont très intéressantes à rappeler pour qui réfléchit sur les problèmes du développement économique de l'Algérie. Nous en avons dénombré dix qu'on pourrait appeler les "Dix commandements" de la croissance durable : 1- Chaque pays a des caractéristiques et une histoire propres dont sa stratégie de croissance doit tenir compte. "S'il existait une seule doctrine de croissance valable, nous l'aurions découverte." Il faut être pragmatique et coller aux réalités de l'économie de la société qu'on veut transformer et développer. 2- Une croissance économique rapide et soutenue n'apparaît pas spontanément. Elle se fabrique patiemment mais avec détermination. 3- La croissance économique exige une administration compétente, crédible et motivée. "La croissance réclame un Etat fort." Elle exige aussi, pour être durable, une planification de long terme. 4-L'ouverture et l'intégration à l'économie mondiale permettent l'importation des technologies et des savoir-faire d'autres pays. Mais elles se préparent par une série d'actions appropriées. Apparaît encore une fois, ici, le rôle de l'Etat. De même, une politique d'exportation est nécessaire car les stratégies de croissance qui reposent exclusivement sur la demande intérieure finissent toujours par atteindre des limites. 5-L'expérience des pays qui ont réussi montre qu'il faut créer une technostructure (des équipes de technocrates) qu'il faut "couver et protéger et qui subsiste aux changements politiques". Ces équipes de technocrates, qu'il faut protéger par des lois, assurent une certaine mémoire institutionnelle et la continuité des politiques de développement. 6-Une allocation efficiente des ressources ne peut être assurée que par le marché pour lequel il n'existe pas de substitut efficace connu. Mais le marché a besoin d'être régulé notamment par des institutions qui définissent des droits de propriété, veillent à l'application des contrats, comblent le déficit d'information entre acheteurs et vendeurs. 7-Ce n'est pas parce que les autorités font parfois preuve de maladresse ou se fourvoient qu'elles doivent être tenues à l'écart du processus. Au contraire, plus l'économie croît et se développe, plus une administration publique active et pragmatique a un rôle crucial à jouer. Mais le rôle de création de valeurs ajoutées revient au secteur privé, à l'investissement et à l'entrepreneuriat. "On peut mesurer la croissance du PIB du haut de la forêt macroéconomique mais c'est dans les sous-bois microéconomiques que se prennent toutes les décisions, que les nouvelles pousses germent et que les bois morts sont déblayés." Tout se joue dans l'entreprise ! 8-Aucun pays n'enregistre de croissance forte et durable sans maintenir un taux extrêmement élevé d'investissement public dans l'infrastructure, l'éducation et la santé. Loin d'évincer l'investissement privé, ces dépenses l'attirent. 9-Une politique de croissance forte et durable exige des systèmes de protection sociale qui assurent une source de revenus aux personnes à la recherche d'un emploi et garantissent un accès permanent aux services de base. En l'absence de ces politiques de protection sociale, la stratégie de croissance s'émoussera rapidement. 10-La croissance doit, dans une mesure toujours plus grande, procéder du savoir, de l'innovation et de la diversification du stock de capital physique et humain. Les services aussi gagnent une place grandissante dans l'économie. Les gouvernements doivent développer l'enseignement supérieur et relever le niveau de compétences sur l'ensemble du spectre des emplois. Dix-neuf experts de renommée mondiale, deux années de travail, une multitude d'expériences de développement étudiées : une certitude : il n'y a pas de "miracles économiques", il y a une croissance vigoureuse et durable qui peut être expliquée. Elle exige de réunir des conditions, de faire les bons choix, d'avoir de la détermination et surtout appliquer la méthode des "trois D" : Diagnostic-Dialogue-Décision. Si on devait résumer rapidement la situation de l'économie algérienne en référence aux conclusions de l'étude que nous venons de rappeler, on retiendrait les faits marquants suivants : Les plans de relance I, II et III ont été une bonne décision de politique économique même si leur réalisation n'a pas connu l'efficacité attendue ; Dans le domaine de l'attractivité, le site Algérie est encore trop répulsif pour les investisseurs potentiels qui dénoncent régulièrement un climat des affaires décourageant ; Les fragilités à corriger sont encore nombreuses. On peut en citer quatre qui constituent pour chacune d'entre elles un véritable programme d'action : a) Le système d'éducation formation est totalement inefficace tant au plan du rendement interne qu'à celui du rendement externe ; b) Les agents de l'Etat restent pour leur majorité sous-formés, sans qualification et donc peu efficaces ; c) La technostructure algérienne a grandement besoin d'être stabilisée, sécurisée, protégée juridiquement et mieux rémunérée ; d) L'Etat dit réorienter et mieux cibler ses interventions, laissant un plus grand périmètre au secteur privé et à la gestion sous contraintes. (*) A. B Professeur en économie Nom Adresse email