Quand je pense à Enzo, j'entends un fou-rire, celui d'un ex-président de fédération. Il avait pris ce surnom d'Italien, lui le blond, alors que je l'aurais bien vu en Allemand : Frantz, Muller... Mais comme les Italiens aiment le vin, l'amour et les femmes, il s'est sans doute senti une parenté avec eux, avec cette nuance : lui c'est le lben qu'il adore au lieu du vin. Les femmes ? Chut. On était en Espagne pour le compte des Jeux olympiques de 92. Lui président d'une fédération et moi chef de délégation d'une équipe nationale. Notre image n'était pas lisse. Elle était tachetée du sang de Boudiaf qui venait d'être assassiné. Alors, ni une ni deux, notre homme me demanda avec le plus grand sérieux d'oublier son prénom à connotation algérienne et de l'appeler Enzo. Sitôt dit, sitôt changé. Il marchait d'un pas d'athlète, le voilà se dandinant comme un séducteur italien, lançant à l'approche de toute jeune femme le seul mot qu'il connaissait en italien: "buongiorno". Le seul mot ? Non, il connaissait aussi, comme tout bon dragueur qui se respecte : "ti amo" (je t'aime) et il en lançait des ti amo à la pelle. Mais aucune Espagnole n'était séduite par cet Algérien en peau d'Italien. Au bout de quelques jours, il dû se rendre à l'évidence : il avait beau être italien, aucune ne voulait de lui. Alors, pris par un affreux doute, il me demanda, l'air grave : "Dis-moi l'âpre vérité : est-ce que j'ai une tête d'Italien ou de Maghrébin ?" Il ajouta, sans doute pour m'encourager à lui dire ce que je pensais : "Au point où j'en suis tu peux même me dire que je ressemble à un Asiatique ou un Africain...". Je regardais sa blondeur, je regardais le bleu de ses yeux et je lui répondis : "Non, tu ne fais pas Italien type." Avant même que je ne termine, il s'écria : "C'est pour ça qu'aucune mujer ne me remarque !" Mujer ? (femme) c'est tout ce qu'il a appris de l'espagnol. Avec te quiero (je t'aime), bien sûr. Je repris la parole pour lui dire que s'il ne fait pas Italien, ce n'est pas grave puisqu'il fait Allemand, Norvégien, Suédois, trois types qui répondent au canon du grand blond. Consolé par autant de nationalités qu'il pourrait prendre, il me serra contre son cœur en me chuchotant : "T'es un frère toi ! T'es le premier Algérien sympathique que je rencontre !" Le bougre, il avait déjà oublié qu'il était un compatriote. Le dernier jour, à la Rambla, une fille belle comme ses phantasmes répondit à son buongiorno. Il se présenta comme Italien et me désigna du menton comme Algérien, c'est-à-dire rien. La fille s'écria : "Mais moi aussi je suis d'origine arabe !" Et elle se tourna vers moi pour discuter de la civilisation arabe en Espagne. Bien plus tard, Enzo, fulminant de rage, me lança : "Pour une fois que je tombe sur une fille qui aime les Arabes je me fais passer pour un Italien. Un vrai crétin, quoi !" Pas crétin, Enzo, spassoso... H. G. [email protected] Nom Adresse email