La 10e édition a vu un engouement considérable en matière d'intérêt affiché pour le bijou, qui porte admirablement le cachet hautement poinçonné des artisans bijoutiers qualifiés par succession. Un héritage ancestral que les artisans ne veulent pas brader malgré les contraintes qui s'imposent dans le processus de fabrication. Une des contraintes que tous les bijoutiers redoutent est la cherté de la matière première à laquelle les artisans font face sans aucune subvention. "Il est de notre devoir de pérenniser le métier et l'art de la bijouterie, quitte à essuyer parfois des pertes sèches, car nous sommes convaincus du devoir de sauvegarder l'artisanat de la bijouterie de Beni Yenni comme patrimoine ancestral, autrement dit, vu le prix exorbitant de l'argent qui dépasse les 80 000 DA le kilo, et le corail qui, non seulement coûte cher mais est aussi considéré comme produit prohibé car gagné par le marché noir, cela, par conséquent, ne nous assure pas notre gagne-pain", nous apprend Baloul A., un quadragénaire qui défend encore le bijou au label authentique. Le bijoutier révèle quelques difficultés à satisfaire l'exigence de la clientèle tout en restant fidèle à la tradition. Pour commercialiser le produit, des artisans ayant fait de la bijouterie d'argent leur profession doivent exploiter les fragments du corail noyés dans de la résine, à la place du corail, ce qui donne tout de même de belles pièces ornées, grâce au savoir-faire artistique, mais aussi un mélange de genres et de styles selon la demande des clients de plus en plus charmés par l'argent. D'autres, pour arrondir leur fin du mois, en payant les impôts et le loyer, ont simplement dû investir dans d'autres matières telles que l'or et les objets de fantaisie ou d'imitation qui s'écoulent très rapidement. Si l'occasion de la fête donne une lueur d'espoir aux exposants au nombre de 63, il y a lieu de relever quelques notes de désespoir et de pessimisme. "Mon fils, qui n'a pourtant pas été très loin dans ses études, ne veut pas prendre la relève, car il ne voit pas dans ce métier un avenir meilleur que n'importe quel bricolage ; pour lui, rien n'est sûr", enchaîne un vieil artisan qui avoue faire de l'élevage et de l'agriculture en parallèle à la bijouterie qu'il titille à temps mort. De son côté, très averti, M. Kerchouche, artisan et élu dans la Chambre régionale des métiers, parle de certains dysfonctionnements au sein même des premiers concernés par le métier du bijou berbère. "L'Etat, par le biais de ses instances, a mis les moyens à la disposition des artisans, tous métiers confondus, des journées de formation à la carte d'artisan en passant par certains droits tels que l'exonération d'impôt, mais l'information n'arrive pas à bonne destination, elle est parfois réduite au silence ou passée en catimini ; à ce train, je reste pessimiste quant à l'avenir du bijou de Beni Yenni", a-t-il soutenu. L'élu de la Chambre des métiers s'étonne de voir, aujourd'hui, l'engouement des jeunes pour d'autres métiers, tels que la broderie, gâteaux traditionnels, couscous ou autres, alors que la bijouterie n'enregistre qu'environ 520 artisans à l'échelle de la wilaya de Tizi Ouzou. Il déplore toutefois les prix qui ont connu une flambée répétée 5 fois de suite en une année ! Ce qui retombe au fait sur le simple consommateur qui doit acheter forcément le bijou. "Etant moi-même de Beni Yenni, je n'attachais pas beaucoup d'importance à l'argent, mais aujourd'hui, je dois prendre quelques bijoux pour le trousseau de ma fille, je connais des familles qui ont l'art et la manière de faire du beau et authentique bijou, auxquelles je vais m'adresser dans le but d'en acheter un peu moins cher", confie une femme de 65 ans. Le savoir-faire se transmettant de père en fils et, ces derniers temps, de mère en fille, trouvera-t-il encore preneur ? Le bijou berbère aura encore de beaux jours devant lui, mais son cachet original subira les mutations imposées par la modernité. Faut-il rappeler que les pièces anciennes sont d'ores et déjà en voie d'extinction. Ces perles, que des étrangers de passage prennent sans compter, laissent du vide dans les tiroirs et les terroirs des collines oubliées. "Cette paire d'Ikhelkhalen de 32 millions de centimes pourrait être cédée à un touriste, qui, à son tour pourrait la revendre trois ou quatre fois plus cher", résume une cliente quinquagénaire. Tout compte fait, si les instances concernées mettent un peu plus de moyens dans la formation, la production et surtout la commercialisation, il sera indéniable que le travail artisanal en général et le bijou berbère en particulier pourraient générer des rentes importantes à des centaines de familles ; tout étant à l'honneur des bijoutiers et artisans des Ath Yenni. LIMARA B. Nom Adresse email