Dans cet entretien, le disciple docile du maître Ali Rachdaoui revient sur la situation du karaté-do shotokan en Algérie et met le doigt sur la plaie : cet art demeure le parent pauvre du secteur de la jeunesse et des sports, en dépit des honorables résultats obtenus tant au niveau régional que national. Liberté : Avant d'évoquer la situation du karaté en Algérie, pouvez-vous nous résumer votre parcours ? Rabah Amariou : J'ai commencé à pratiquer le karaté entre 1968 et 1969 avec sensei Lucien Luis Vernet, le premier maître à avoir lancé cet art en Algérie. à cette époque, les titulaires de ceintures noires étaient comptés sur les doigts d'une main. On était dix au maximum. Après le départ de Lucien en 1973, on a continué à travailler avec maître Ali Rachdaoui, alors responsable technique de la Fédération algérienne du judo et des disciplines assimilées (Fajda). Et c'est à lui que je dois ma première participation au championnat national, puis aux compétitions qui furent organisées à l'étranger, particulièrement en France et en Italie où l'on avait honoré les couleurs nationales à maintes reprises. On s'est vraiment propulsés avec ce maître, actuellement 7e dan et sélectionneur à la fédération française de karaté. En 1982, je suis devenu membre de la Fédération algérienne de karaté-do qui fut créée par notre cheikh Tifaoui Chérif, où on m'a confié la responsabilité de directeur technique régional centre. Juste après, on a créé la ligue de karaté-do de la wilaya de Tizi Ouzou. Ce qui nous a permis de former des jeunes de Tizi Ouzou. J'étais président fondateur de la ligue. J'ai assuré l'arbitrage et le passage des grades techniques et supervisé également les stages des jeunes entraîneurs. Parallèlement, on a organisé des compétitions et des championnats. Présentement, je tiens à assurer que toutes les communes relevant de la wilaya de Tizi Ouzou disposent d'une section de karaté-do. Et c'est un peu grâce aux efforts consentis et à la précieuse collaboration de certains responsables, que je salue à l'occasion, que nous sommes parvenus à ce stade. On a entraîné des personnalités, à l'instar de Lounis Aït Menguellet et de Sid-Ahmed Ghozali. On a créé aussi une section regroupant une élite d'intellectuels et de médecins, s'entraînant d'une manière un peu spécifique, compte tenu de leur âge. Au club de la Jeunesse sportive de Azazga (JSA), nous avons pu lancer, il y a 3 ans, une section qui compte près de 500 élèves adhérents. Ce qui est plus qu'honorable. À vous entendre, on comprend une certaine satisfaction des résultats réalisés... En effet, la section de karaté, depuis sa création, s'est distinguée par des résultats probants et a un riche palmarès. Lors des passages de grades qui ont eu lieu dernièrement, on a eu 12 ceintures marron, 5 ceintures noires, et plusieurs champions de wilaya ont décroché leur accession au niveau national. Notons que nous sommes déjà classés premiers au niveau régional et deuxièmes au niveau national. Les compétiteurs se plaignent souvent du manque de prise en charge. Vous êtes-vous retrouvés face à de pareilles situations ? J'affirme que nos élèves, les compétiteurs en particulier, sont pris en charge, notamment en matière de restauration, d'assurance, des frais de stages et de transport. Le matériel d'entraînement est, par contre, à la charge de l'élève, vu le manque de moyens financiers du club qui perçoit une maigre subvention budgétaire annuelle, évaluée à 400 000 DA. Compte tenu de l'importance des dépenses, même les éminents alchimistes des chiffres ne peuvent pas s'en sortir avec cette somme insignifiante. Tout de même, ce n'est pas une raison pour battre en retraite. En comparaison avec notre époque, on évoluait dans des conditions plus que lamentables. Personnellement, j'ai participé à des compétitions sans aucune prise en charge. C'était le cas de notre participation au championnat de Belgique et de France, où l'on avait eu la chance de rencontrer de grands maîtres japonais, à l'exemple de Taiji Kase, Hiroshi Shirai et Kenozuke Enoeda que, faut-il le noter, j'ai reçu à Yakouren (Tizi Ouzou) pour assurer, pour la première et l'unique fois dans l'histoire de karaté en Algérie, le passage de grade du 6e dan. Je les ai invités chez moi où ils ont mangé du couscous à satiété (rire). On avait parlé de karaté et des mécanismes susceptibles de développer cette discipline en Algérie, en établissant un état des lieux exhaustif sur l'évolution de cet art et sur les techniques adoptées dans les compétitions de haut niveau et le karaté moderne. Le karaté a eu un passage à vide dans la région, pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? Il y a eu une rupture pendant que j'étais malade. Comme tout sportif et compétiteur de haut niveau, on est toujours confronté aux problèmes musculaires et articulaires. J'ai arrêté pendant 3 ans lors de ma convalescence en France. C'était un peu dur et pour moi et pour mes élèves qui ont été complètement démotivés. Le karaté a régressé durant cette période. Toutefois, le samouraï est de retour pour rattraper le temps perdu. Cela fait trois ans qu'on a repris l'activité avec la JSA et on est très satisfait des résultats obtenus, notamment avec l'avènement de responsables soucieux de l'avenir du sport et de la jeunesse dans cette région qui a payé un lourd tribut durant la décennie noire. Reste le problème auquel est confronté notre club, comme c'est le cas de plusieurs jeunes clubs en Algérie, qui est le manque de suivi des élèves qui n'ont pas pu poursuivre leur entraînement une fois à l'université, soit à Tizi Ouzou ou à Alger. C'est une véritable hémorragie que les autorités compétentes doivent arrêter afin d'avoir une bonne relève. Je vais peut-être vous décevoir si je vous dis qu'à ce rythme, les bons karatékas risquent de se faire rares. Il est donc impératif, voire urgent de faire un diagnostic sérieux pour remédier à cette situation. Nom Adresse email