Après "une révolution dans la révolution", la Tunisie s'efforce laborieusement de composer une Constitution qui pourrait sauver le minimum républicain. En Egypte, l'armée, venue prendre en charge la contestation populaire de l'ordre totalitaire des "Frères musulmans", semble succomber, à son tour, à la tentation autoritaire. Une reprise en main autoritariste y vient "sanctionner" la trahison islamiste de la révolution, mettant les progressistes égyptiens devant une espèce d'"alternative du diable" que les Algériens ont bien connue. La Libye, elle, peine à faire exister un semblant d'Etat que les groupements armés disparates et affranchis de tout commandement contestent sur le terrain. Et l'Irak, confronté à la violence confessionnelle depuis l'invasion américaine, se retrouve contraint d'entreprendre une guerre de front contre les forces liées à Al-Qaïda. Des territoires entiers sont sous contrôle des troupes d'Etat islamique en Irak et au Levant. Et ces mêmes groupes de l'EIIL, ayant débordé les rebelles syriens dont ils sont venus soutenir la révolution, ont fini par les pousser à ouvrir le front d'une "révolution dans la révolution". Partout, dans la sphère arabo-musulmane au Moyen-Orient et en Afrique du Nord où se conçoit un projet d'évolution politique dans le sens d'une plus grande participation populaire, l'islamisme, sous une forme ou sous une autre, s'intercale entre le mouvement d'émancipation citoyenne et le dictateur contesté, pour exploiter l'opportunité tactique. Ses longues années d'activisme idéologique et caritatif, sa longueur d'avance au plan organisationnel et militaire et sa structure logistique et hiérarchique transnationales le placent invariablement en meilleure position que les organisations embryonnaires et les mouvements spontanés à l'origine du soulèvement civil. La répression s'étant exercée plus ouvertement contre les revendications démocratiques que contre "le prêche et la charité", c'est le projet démocratique qui, généralement, pèche par impréparation par rapport au dessein islamiste. Trois ans après le début du "Printemps" dit arabe, on observe que tous les pays ayant exprimé l'ambition d'une libération démocratique sont aujourd'hui sommés d'assumer l'autoritarisme militariste ou de subir l'hégémonie de l'internationale islamiste. La confrontation s'exprime sous des formes variées, selon l'état de l'équilibre des forces politiques du pays et l'expérience historique et les conditions socioculturelles locales. Dans le contexte général du moment, toute "révolution" démocratique est condamnée à affronter l'ambition islamiste qui la conteste, partout en terre d'islam, comme alternative légitime et comme perspective historique. Les dictatures légitimant leur violence par l'impératif d'ordre et les forces islamistes justifiant la leur par l'idéologie, une durable période de trouble politique s'installera dans la région. Avec, ça et là, des pauses tactiques de "réconciliation". Et comme la logique historique fait que la perspective démocratique ne peut être définitivement dépassée, on assistera probablement à un interminable mouvement sisyphien de "révolutions dans la révolution". Le choix qu'on refuse d'affronter et qui semble s'imposer est, en effet, celui offrant une réforme de l'Islam ou un renoncement à accéder à l'ère historique de la démocratie. M. H. [email protected] Nom Adresse email