Après l'invitation lancée à l'Iran par l'ONU, l'opposition syrienne a annoncé qu'elle boycotterait la conférence de paix de Genève 2 si cette invitation n'était pas retirée. Afin de ne pas compromettre la conférence, Ban Ki-moon a dû retirer l'invitation de Téhéran, principal allié régional de Damas, dont le rôle restera important même en dehors de Montreux car il consistera à jouer les bons offices, notamment en essayant de convaincre la Turquie d'arrêter d'armer et d'abriter les groupes rebelles en échange d'une garantie du retour d'Istanbul dans le giron régional. Cette non-participation n'empêchera pas non plus Téhéran d'essayer de convaincre Damas d'accepter un gouvernement de transition sans remettre en cause ses grands principes constitutionnels et politiques. Après des semaines d'atermoiements quant à sa participation à Genève 2, le président du Conseil national syrien (CNS), Ahmad Jarba, a dit niet à la présence de Téhéran, probablement sur instruction de l'Arabie Saoudite, le principal tuteur d'une opposition syrienne basée à l'étranger, soit à Riyad, à Doha ou Istanbul. Puis lorsque Téhéran a été exclu, le CNS a annoncé son retrait de la Coalition syrienne qui a accepté d'y aller, quant à elle. Que vaut une Coalition sans CNS ? Pour prouver sa bonne foi quant aux pourparlers de Monteux, Damas a proposé un "échange de prisonniers" et un plan de cessez-le feu dans la région d'Alep, mais elle ne transige pas sur les principes qui lui ont dicté sa conduite militaire, politique et diplomatique depuis le début de la "révolution" de 2011. Outre le refus de la présence iranienne à Genève 2, qui regroupe pourtant plus de trente pays, l'opposition exige que le président Bachar Al-Assad quitte le pouvoir et soit exclu de toute phase transitoire. Damas, quant à elle, espère que le dialogue mette fin au terrorisme qui ensanglante le pays, bien qu'une telle issue semble très incertaine vu que l'opposition est prisonnière de ses nombreux bailleurs de fonds et commanditaires. Quoique dominé par les islamistes, le CNS, qui a connu cinq présidents depuis 2011, semble plus divisé que jamais, ses éléments dépendant, les uns, de Doha et d'Istanbul, et les autres, de Ryad, dont l'influence semble la plus prééminente depuis le retour de Bandar Ben Sultan aux commandes des services de renseignements saoudiens. Se voulant l'unique décideur régional, Riyad semble imposer sa position à ses obligés syriens du CNS, surtout après le retrait du Qatar de la scène politique mondiale et les problèmes internes que connaît de la Turquie. La défaite des groupes armés étant devenue patente, la diplomatie reprend donc ses droits même si les résultats de Genève 2 semblent hypothétiques. Pour Damas, cette rencontre est, de facto, une réhabilitation sur la scène internationale, tandis que pour Washington elle représente la dernière chance pour tenter de sauvegarder quelques privilèges dans la région, bien que tout semble perdu pour elle au profit de Moscou, Pékin et Téhéran. Après avoir armé, formé et soutenu les groupes armés trois années durant, les USA semblent opter pour le pragmatisme : ils diminuent la pression médiatique et politique sur Damas, réduisent les fournitures d'armes et admettent qu'il y a des groupes terroristes en Syrie, fournissant à Al-Assad une légitimité de lutte antiterroriste, du moins contre l'EIIL. En outre, Washington ne pose pas de conditionnalités à Damas, laissant ouvertes les portes de la rencontre helvétique, sans préjuger des résultats en dépit de l'espoir de Damas de voir la crise enrayée grâce à la cessation de fourniture des armes aux "rebelles" et la criminalisation de leur soutien. Cela ni Washington ni l'opposition ne peut le promettre, car ces groupes n'obéissent qu'à Bandar Ben Sultan, pour certains, et aux renseignements qataris et turcs, pour d'autres. Très bien tenues en laisse par les pétromonarchies arabes, ces bandes armées ne constituent aucunement une menace pour l'Occident qui prétend combattre le terrorisme tout en l'aidant et le finançant en Syrie. D'ailleurs, le 29 décembre dernier, deux attentats ont eu lieu en Fédération de Russie, pas en Europe ou aux USA qui ont pourtant permis à près de plus de 1000 terroristes d'aller tuer en Syrie. Après les attentats de Volgograd, qui ont fait plus de 34 morts, Poutine a mis en garde les pays qui soutiennent le terrorisme, sans nommer l'Arabie Saoudite, visée par la déclaration. Fin de mission pour les groupes terroristes ? Si Bachar Al-Assad pourrait accepter de mettre fin à sa carrière politique, ce que Damas ne pourra jamais accepter, c'est une constitution qui tolère des partis sur la base religieuse, ethnique ou linguistique ou une ligne politique qui rompt avec la résistance palestinienne et avec l'Iran, des concessions sur le Golan, la fermeture du port de Tartous aux navires russes ou l'arrêt de la coopération militaire avec la Fédération de Russie. Or, c'est pour remettre cela que le "printemps" syrien a eu lieu. Trois années durant, Damas a défendu ces lignes rouges avec acharnement face aux pressions des armes, de la diplomatie, des médias, des blocus, des menaces d'ingérence... Ses constantes sont celles d'un Etat national, multiconfessionnel, non aligné, engagé contre le sionisme et dans un sens qui refuse l'abdication aux volontés de l'impérialisme, du libéralisme mondial et de leurs valets qui ont cru pouvoir mettre le monde arabe sous leurs bottes en concoctant de fausses révolutions appelées "printemps" où les wahhabites, les Frères musulmans et autres salafistes ont le premier rôle. L'opposition syrienne de l'étranger n'a même pas un contrôle sur les groupes armés pour prétendre avoir une quelconque assise dans la rue syrienne. Damas ne va donc pas lui faire de cadeau à Genève, sachant que les ficelles ne sont pas entre ses mains mais entre celles des puissances régionales et internationales qui la commandent. Après la chute de Kadhafi, le terrorisme s'est propagé car les milices qui ont soutenu les forces atlantiques refusent de déposer les armes qui leur ont été fournies par l'OTAN et financées par le Qatar. C'est ce qui se passera en Syrie, où les monarchies du Golfe continueront à faire pression par le moyen de leurs hordes, comme ils le font en Irak et au Liban. Genève 2 ne sera donc pas une réussite sur le plan sécuritaire, et même la constitution d'un gouvernement de transition semble un but difficile à atteindre vu les positions antinomiques des deux camps. Aujourd'hui, la rue syrienne est majoritairement pro-Bachar, comme le montre l'enrôlement de centaines de milliers de patriotes armés contre le terrorisme qui ravage leur pays. En outre, des sondages réalisés par la CIA donnent Bachar El-Assad vainqueur des prochaines élections présidentielles à 70% s'il s'y présentait. C'est la raison pour laquelle l'opposition du CNS exige la constitution d'un gouvernement de transition sans le raïs actuel, or ni l'armée ni le pouvoir syriens n'envisagent l'avenir du pays sans le parti Baath et ses ténors, qui ont quand même apporté le bien-être économique au pays en quarante ans de règne. Depuis 2011, Washington et ses alliés ont tout fait pour renverser un Etat national pour instaurer un Etat fantoche désolidarisé de la cause palestinienne et saper l'Axe de la résistance face à Israël et à l'impérialisme mondial. Damas a beaucoup perdu dans la guerre internationale qui lui est livrée mais elle a gagné sur le plan opérationnel, politique et diplomatique, d'autant que le monde découvre avec horreur, aujourd'hui, que la scène syrienne est dominée par les terroristes takfiristes que l'Occident cherche à diviser entre bons et mauvais, pour plaire à Riyad dans sa guerre contre Doha. Après avoir joué un rôle fondamental dans le "printemps arabe", le Qatar se trouve évincé dans l'affaire syrienne par l'Arabie Saoudite qui reprend le premier rôle et cède celui de figurant à un Tamim qui ne cherche d'ailleurs pas à ressembler à son père, l'impétueux Hamad qui a employé le terrorisme comme moyen de pression et outil de percée politique, diplomatique, économique et militaire. Les clivages entre la Coalition et le CNS traduisent eux aussi ce bras de fer entre Riyad et Doha. Washington ne veut pas perdre entièrement la face en Syrie, et c'est pour cela qu'elle tend une perche à Damas en laissant les monarchies du Golfe payer à elles seules la facture de leur compromission dans une guerre qui a fait plus de 120 000 morts, dont 45 000 soldats et plus de 45 000 éléments de l'ASL et d'Al-Qaïda. Aujourd'hui, les USA se rendent compte que l'option militaire a solidarisé les Syriens autour de leur raïs, devenu le garant de la continuité de l'Etat, de l'intégrité du territoire et de la sécurité des minorités. D'ailleurs, même sur le plan économique, le gouvernement a réalisé de véritables miracles : la lire syrienne se maintient à un niveau à peine plus faible que celui de 2011, tous les fonctionnaires de l'Etat perçoivent leur salaire, le pays assure encore son autosuffisance alimentaire, pharmaceutique, vestimentaire et textile, tandis que les prix des produits de première nécessité sont plus bas qu'en Jordanie, au Liban ou en Irak ! Beaucoup de pays ne peuvent se targuer de pareils records auxquels viennent s'ajouter la construction de 50 000 logements et la création de plus de 10 000 entreprises en 2013 ! Après avoir utilisé les hordes terroristes qu'ils ont rameutées de la planète entière, Washington, Londres et Paris semblent vouloir en finir, comme ils l'ont fait au Mali. Pour leur éradication, ils comptent sur l'armée de Bachar et sur la fitna qu'ils ont créée entre le FI et l'EIIL. Les milliers de terroristes français, anglais, américains qui ont rejoint la Syrie l'ont été avec la bénédiction ou le silence complice des services de renseignements de ces pays qui ne constituent pas les cibles principales du terrorisme et ne l'ont jamais été. Certes, des actes isolés resteront possibles en Occident mais ils ne changeront rien à l'équation qui fait du terrorisme takfiriste un allié objectif de l'impérialisme, du libéralisme et du sionisme. La Grande-Bretagne, qui a fermé les yeux lorsque des dizaines de ses citoyens partaient faire du "djihad" en Syrie, vient de les destituer de la nationalité britannique. Or, il y a à peine quelques mois de cela, Blair, Obama et Hollande leur envoyaient des armes et tous les médias les qualifiaient de "combattants de la liberté" et de "révolutionnaires". Apparemment, les USA ont jeté l'éponge dans l'affaire syrienne mais l'Arabie Saoudite tente désespérément de s'accrocher aux derniers djihadistes pour sauver sa face, sachant qu'une victoire du bloc de la résistance avec la Syrie en tête est une disgrâce pour le régime archaïque des Al Saoud et ses satellites du Golfe. En tout cas, il est certain que la résistance de la Syrie face à la guerre qui lui est livrée via des hordes terroristes qui ne comptent pas moins de 1000 Européens, et des dizaines de milliers d'Arabes, de Tchétchènes et même de Chinois, est en train de créer de nouveaux équilibres internationaux susceptibles de débarrasser le monde de l'hégémonie américano-sioniste. En prenant appui sur cette résistance, les partenaires et les vrais amis de la Syrie, Chine et Russie en tête, ont commencé à jeter les fondements d'un bloc bipolaire où l'Organisation des Nations unies ne serait plus un outil entre les mains de l'impérialisme états-unien. L'échec au plan visant à remplacer l'Etat syrien par un Etat au rabais à la solde de l'Amérique est aussi un échec cinglant pour Israël, qui voit croître un Axe de la Résistance plus fort, avec une Syrie renforcée sur le plan militaire, un Irak déterminé à résister aux plans de déstabilisation et un Iran qui récoltera très vite les succès économiques de la fin des sanctions suite aux accords sur son nucléaire. La victoire de la Syrie commence déjà à créer un contre-printemps arabe, dont la destitution de Morsi est la primeur, en tout cas l'amorce d'une vague nationaliste hostile au mouvement sioniste et aux forces néocoloniales dans la région. L'échec du "printemps arabe" en Syrie n'interdit pas la réussite de Genève 2, à condition que l'opposition prenne conscience que l'effusion du sang et la destruction de l'économie nationale ne sont pas des méthodes dignes pour accéder au pouvoir. En tout cas, cette opposition a définitivement perdu la chance de rentrer à Damas dans les chars de l'OTAN. A. E. T. Nom Adresse email