Il y a quelque chose de vraiment moderne dans la manière qu'a l'auteure de construire ses personnages féminins. La femme, sous sa plume, est maîtresse de son destin, et même si celle-ci n'a aucun contrôle sur les événements et les coups du sort, elle a pleinement conscience de son corps et de ses émotions. A la question qu'est-ce que la littérature, on serait tenté de répondre c'est la vie – la vie dans ce qu'elle a de plus intense. La littérature c'est aussi du rêve et de l'évasion, et lorsque la grande histoire croise la petite histoire, les histoires minuscules – celles du quotidien –, on lit et on assiste à l'élaboration d'un grand roman. Un roman où les personnages sont porteurs, non pas de réel, mais de vérité. Nawras Bacha de Hadjer Kouidri est de ceux-là. L'histoire de ce roman se situe à la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle (1798-1805), dans les contrées algériennes (le village d'Aziez dans le Titteri) puis dans "Dzaïr". L'intrigue de ce roman remonte donc à l'époque du dey d'Alger, Mustapha Pacha, mais ce n'est pas la régence d'Alger qui intéresse tant l'auteure, mais plutôt l'histoire de Daouia, jeune bergère pleine de rêves et d'espoir quant à sa vie future, elle se retrouve du jour au lendemain mariée au bachagha Hamdane, qui la prend pour deuxième épouse. Cette union se consolidera par la venue au monde d'un petit garçon, Ibrahim. Après des années de souffrance infligée par Zeineb, la première épouse du bachagha Hamdane, le décès de ce dernier contraindra Daouia à quitter sa maison, pour retourner vivre chez sa mère. Elle épousera deux hommes par la suite, puis finira par quitter son village pour Alger, précisément pour la Casbah d'Alger, où elle rencontrera le grand amour de sa vie, et vivre des jours plus ou moins paisibles aux côtés du Bach-kateb (le trésorier du dey Mustapha Pacha, et qui est le seul personnage appelé par son titre et non par son prénom). Ceci est bien évidemment la version courte de l'histoire parce qu'autour de Daouia gravitent des personnages qui ne lui veulent pas toujours du bien, et elle expérimentera, tout au long de son parcours, le malheur, la douleur de la perte d'un être cher, les plus basses intrigues, et même un peu de bonheur. Ce qu'il y a de remarquable dans Nawras Bacha – qui a décroché le prestigieux prix Tayeb-Salih en 2012 – c'est la modernité des personnages féminins, et la manière qu'a Hadjer Kouidri de construire les femmes qui peuplent ce roman. Daouia, par exemple, bien qu'elle soit contrainte par la vie à vivre de grandes souffrances, reste maîtresse de son destin et tente à chaque fois de se reconstruire et d'arracher sa part de bonheur. Ce qui est tout aussi remarquable est que Daouia est pleinement consciente de son corps et de ses émotions, d'autant qu'elle se laisse toujours guider par son cœur. Dans Nawras Bacha, les descriptions passent par les impressions et les sentiments du personnage principal, qui construit un rapport charnel à la ville d'Alger, et qui conclut, à plusieurs étapes du roman, que "Dzaïr" est une ville de paradoxes à laquelle on s'adapte. Daouia finit par s'adapter à Alger, mais Daouia est comme "Nawras" (ou la mouette) qu'elle voit tous les jours de sa terrasse ; elle rêve d'être libre comme elle. Libre de vivre sa vie comme elle l'entend, ce qu'elle finit par concrétiser, mais libre également dans un sens plus large, voire philosophique. Libre d'être tout simplement une femme et d'avoir une vie à la hauteur de ses rêves. S.K «Nawras Bacha» de Hadjer Kouidri. Roman, 188 pages. Editions Anep. 370 DA. Nom Adresse email