A quelques jours seulement des élections de renouvellement du conseil de l'Ordre du barreau d'Alger, prévues pour le 22 du mois courant, je formule le vœu le plus profond pour que l'esprit de changement puisse gagner la corporation des robes noires à l'occasion de ces élections. Un esprit de changement qui puisse donner leur chance aux jeunes compétences de participer à la gestion des affaires de leur barreau, sans pour autant oser penser un seul instant diminuer du rôle, de la place, de la grandeur et du prestige des aînés, qui ont balisé la voie de la profession aux jeunes générations d'avocats au prix de maints sacrifices, et ont fondé les bases de la défense en affinant l'homme (je veux parler de l'avocat) à l'art de la plaidoirie et à la sublimité du jeu des manches, en lui enseignant les règles de la déontologie, de la confraternité et de la solidarité confraternelle agissante, du langage civilitas et urbanitas, de bonne tenue en société, de bonne conduite envers les autres, et l'ont forgé à croire en soi, en ses capacités et oser, en lui apprenant à préserver l'indépendance de la profession et à exercer sa liberté de défendre le droit partout où il est. Des aînés qui doivent donc rester pour les jeunes avocats des normes de référence, des modèles à admirer et à imiter, des valeurs dont ils doivent s'inspirer, bref, des «auteurs» et des «autorités» qu'ils doivent écouter et respecter. Des aînés qui, comme des lampions de fête, ont illuminé l'épopée glorieuse du barreau d'Alger, et qui s'éteignent malheureusement aujourd'hui l'un après l'autre dans la discrétion, si ce n'est l'indifférence la plus totale. Et par ces temps damnés où les liens de confraternité comme ceux d'ailleurs de parenté ne sont plus ce qu'ils étaient auparavant, c'est devenu presque une distinction royale si le conseil de l'Ordre compatit à la douleur de la famille du défunt ou de la défunte, en publiant une lettre de condoléances dans un ou deux titres de la presse nationale avec la photo de la consœur ou du confrère disparu. Et ceux plus chanceux, qui sont toujours en vie après 40 ou même 50 ans de barreau pour certains (puisse Allah le Tout-Puissant leur accorder santé et longue vie), ils sont en train d'égrener le restant de leurs jours dans l'anonymat et l'oubli les plus cruels, associés parfois à la cruauté de la maladie, et c'est avec une grande amertume que je ne remémore en cet instant de tristesse, le souvenir d'un ami et d'un grand avocat, discret, consciencieux, à la sagesse et à la droiture irréprochable, feu Maître Zemmouri Mohamed (qu'Allah le Tout-Puissant bénisse son âme de Sa grande Miséricorde ), mort dans l'oubli, la souffrance et le besoin, mais dans la dignité. Mon propos ne signifié pas ici, que pour être fidèle à la mémoire de ceux parmi les consœurs et les confrères qui nous ont quittés pour l'autre monde il faut s'enfermer dans la douleur et la tristesse, bien au contraire il faut essayer de les faire «vivre» parmi nous en continuant leur œuvre, en transmettant leur message, leur pensée aux jeunes générations d'avocats, comme ils l'auraient fait eux-mêmes, mais aussi, en honorant leurs veuves, fils, filles, frères ou sœurs, et la vie germera alors sans fin du "souvenirs" des disparus. Un esprit de changement qui couronnera à mon avis la grande leçon de courage qu'ont donnée les avocats algériens, en arrachant aux prix d'âpres tractations avec les différents ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de la Justice et avec eux tous les faucons de la chancellerie, mais aussi au prix de protestations, de manifestations, de sit-in, de boycott des salles d'audience des tribunaux et des cours, au prix de vexations, de violences verbales et même parfois physiques, un statut qui reste (malgré ses carences, ses lacunes et sa propension flagrante de mettre la profession au pas), un acquis digne du combat, du rôle et de la place de l'avocat dans la société d'aujourd'hui. Mais aussi et surtout, un esprit de changement qui démontrera d'abord à ceux qui, dans les coulisses de la chancellerie, doutaient encore de votre engagement, et à l'opinion publique ensuite, que le barreau algérien reste l'un des rares cadres "institutionnels organisées" à l'intérieur duquel s'inscrit, s'exprime et surtout se développe la pratique démocratique dans son sens le plus noble et sa tradition la plus pure. Et de cette trinité d'esprits antagonistes (avocats d'un côté, chancellerie et magistrats de l'autre) et du cœur de cette bataille pour la dignité, dont j'ai eu le privilège de vivre certains de ses moments forts lorsque j'étais au barreau d'Alger, je ressens aujourd'hui le devoir et la responsabilité morale de reconnaître le courage et la pugnacité du bâtonnier d'Alger, Maître A. Sillini, qui reste, à mes yeux, l'un des plus ardents et des plus acharnés défenseurs des «droits de la défense», celui qui a été depuis plus d'une décennie à la tête de tout les combats pour l'exercice d'une défense libre et indépendante, et la préservation de la dignité de l'avocat en tout lieu et en toute circonstance. Un grand sage parmi les sages, avec un cœur de lion (malgré la réputation d'âmes noires que traînent certains de ses proches collaborateurs au sein de l'administration du barreau), et dont personne n'osera à mon avis récuser ni son rôle pionnier dans la promotion de la profession d'avocat, ni sa compétence philosophique, encore moins ses compétences professionnelles. Et ce ne sont point là les propos d'un panégyriste hypocrite, comme il en existe malheureusement partout, disséminés dans les cercles rapprochés des responsables à tous les niveaux et des centres de décision. Et je pense que l'avenir de la profession ne sera que meilleur avec l'émergence de jeunes loups de la défense, qui apporteront sans aucun doute une grande dose de dynamisme, de vivacité et de fraîcheur dans la gestion des affaires du barreau, réduites durant certaines années à la convocation d'une AG annuelle et la présentation d'un rapport moral et financier répétitif et rébarbatif, sans âme et sans attrait, suivi de débats plus au moins houleux qui prennent parfois l'allure de règlements de comptes entre personnes rivales, ce qui risque fort de lasser les avocats les plus assidus, si ce n'est déjà le cas. La profession d'avocat offre à mon avis, dans le cadre du nouveau statut, un terrain d'action éminent à l'esprit de changement, et la participation des avocats, souvent et justement célébrée avec grande verve et à outrance dans les discours officiels, ne peut être concrétisée qu'en associant le plus grand nombre de confrères et de consœurs, notamment les jeunes premiers, à l'organisation de ce changement. La volonté de changement doit donc inciter aussi bien les candidats que les électeurs à une concertation active qui limitera peut-être, mais n'effacera pas les séquelles et les contraintes nées des élections précédentes organisées sous l'ancien statut. Mais en les référant à des choix individuels qui cibleront les candidats les plus engagés, les plus compétents et les plus aptes à assumer la responsabilité parmi toutes les listes en compétition, mais aussi parmi les candidats indépendants qui peuvent receler en leur sein – pourquoi pas – des valeurs sûres et des compétences avérées, elle en changera certainement le sens. Alors, et même si les compromis sont transitoires, jamais parfaits, jamais totalement satisfaisants pour tout le monde, je crois qu'il est plus sage pour tous les candidats d'aller de compromis en compromis, que de guerre froide durant la campagne électorale, en guerre ouverte le jour des élections, dès lors que tous les candidats qui seront élus à la fin de l'opération de dépouillement le 22 mars 2014 au soir, et quelles que soient leurs divergences, seront mutuellement nécessaires les un aux autres, et seront obligés de travailler la main dans la main et de canaliser leurs efforts et leur énergie au seul service de l'avocat et de la profession. J'espère seulement que les tensions qui ont toujours caractérisé les campagnes électorales se concentreront davantage cette fois-ci sur les vraies préoccupations de l'avocat, sur la manière et les moyens de concrétiser le changement dont on n'a que trop longtemps parlé, et que les avocats attendent pour accéder à la place qui est la leur au sein de la société, et asseoir définitivement leur autorité morale au sein de l'institution judiciaire, en marquant de leur empreinte le débat judiciaire d'où sortira le jugement ou l'arrêt, et que les contradictions inévitables qui caractérisent toutes les élections ne soient pas des facteurs supplémentaires de blocage ou de dissensions maladives, mais des instruments de progrès et de promotion du rôle et de la place de l'avocat algérien dans la société mondiale. Tel est à mon avis le sens des débats que je propose avec la plus grande modestie et avec tout le respect qui sied à la profession d'avocat, au futur conseil de l'ordre. M. C. (*) Ex-secrétaire général de l'organisation des avocats d'Alger – Ex-membre actif de la Ligue française de défense des droits de l'homme, Paris. Nom Adresse email