Au sujet de la visite de John Kerry en Algérie, Rebaïne estime que l'on ne peut pas en vouloir aux dirigeants étrangers d'aimer leur pays, mais seulement regretter que les nôtres n'agissent pas dans le même sens. Trois fois candidat à l'élection présidentielle (2004, 2009 et 2014), Ali Faouzi Rebaïne trouve que le prochain scrutin du 17 avril comporte une singularité et non des moindres. La nouveauté réside, selon lui, dans l'intrusion de l'argent sale. "Cette fois, c'est la finance, je veux dire l'argent sale qui a absorbé l'alternance politique." Invité hier au Forum de Liberté, le candidat du parti AHD 54 dont il est le président estime que le problème de cette élection présidentielle de 2014 est qu'"on a construit médiatiquement et financièrement deux pôles, ils n'ont pas de militants ou de sympathisants. C'est l'argent sale qui remplit les salles", accuse-t-il notamment les soutiens du "candidat invisible" et ceux du "candidat du système", entendre Bouteflika et Benflis. En réalité, Rebaïne désespère, lui aussi, de voir quelques "beggara", de "riches bouseux", politiquement connectés comme dirait Mao, tenir aujourd'hui le haut du pavé de la politique en Algérie. Le plus grave dans cette situation est qu'on retrouve dans cette faune d'affairistes qui s'intéresse, de plus en plus, à la chose politique, des gens peu recommandables et dont tout le monde s'accorde à dire qu'ils sont la cause de la destruction de l'économie nationale et de la contrebande aux frontières. S'agit-il, d'ailleurs, de ceux-là mêmes que fustigeait, il n'y a pas si longtemps, Ahmed Ouyahia, rappelé, entre-temps, à la rescousse ? Pour Rebaïne, il n'y a plus aucun doute, "c'est le règne de l'argent sale en Algérie. Je ne veux pas régler de comptes avec Untel ou Untel mais la corruption a augmenté sous Bouteflika. Nos richesses ont été dilapidées. Il faut vite donner à la Cour des comptes de vraies prérogatives, il faut assurer l'indépendance à la justice, il faut que la douane soit protégée...", telles sont les actions qu'il entreprendrait s'il venait à être élu président. Et de poursuivre : "On nous rabâche que la corruption existe partout. Certes, mais dans les Etats de droit, un chef de l'Etat peut passer devant la justice. Il s'agit de donner la possibilité aux citoyens de défendre leurs droits et leurs biens." Pour justifier sa participation à un scrutin dont l'issue est connue d'avance, Rebaïne fera valoir essentiellement son parcours de militant. "Moi, je suis dans la culture du militantisme. Dois-je attendre que le pouvoir me donne toutes les garanties pour me lancer dans la bataille ?" Et de revenir sur son itinéraire : "La culture du militantisme, moi je l'ai apprise dans la rue. La lutte politique, moi je l'ai apprise dans ma famille. Je ne suis pas un accident de l'histoire mais issu du milieu associatif et politique." Il rappellera parmi ses "titres de gloire" son passage devant la cour de sûreté de l'Etat, l'interdiction qui lui avait été faite le 5 juillet 1985 de déposer une gerbe de fleurs au cimetière d'El-Alia, etc. Ceci n'empêchera pas une journaliste de lui reprocher toutefois d'appeler à "l'alternance au pouvoir" alors qu'il est président de son parti depuis plus de 20 ans. "Ce n'est pas pareil. Il faut éviter la confusion. Si j'avais été au pouvoir, cela fait longtemps que j'aurais passé le témoin. Quand je parle d'alternance au pouvoir, je parle bien sûr de ces gens qui ont plus de 50 ans dans le pouvoir réel, dans les institutions. Quant à moi, je n'ai aucun pouvoir au parti", se défend-il. Rebaïne tient même sa longévité sur la scène politique nationale de sa "force de conviction dénuée d'arrière-pensées politiques". "Moi, je milite pour un idéal." De bons points pour Barakat Invité à livrer ses impressions à la suite de ses pérégrinations dans le pays dans le cadre de la campagne électorale, Rebaïne révèle que l'atmosphère n'est pas bonne dans le pays. "L'ambiance est électrique dans la société. Les jeunes n'arrivent pas à se projeter dans l'avenir. Il y a de grandes difficultés sociales et économiques." S'agissant des "réalisations" du Président sortant, Rebaïne regrette que l'Algérie n'ait pas avancé à la mesure de l'argent dépensé. "J'ai fait 4 fois le pays en voiture, il n'y a rien de nouveau !" Et d'affirmer qu'avec les 600 milliards de dollars dépensés par le "Président malade", il aurait pu édifier, lui, "deux autres Etats". Quant au déroulement de la campagne et des préparatifs du scrutin, il se montrera plutôt sceptique. "Dans toutes les wilayas, les conditions pour un scrutin libre et transparent ne sont pas réunies. L'administration menace les citoyens qui viennent vers moi ou qui remplissent les salles. Ce ne sont plus des sous-entendus mais c'est du direct. À Souk-Ahras, ils ont vidé la Direction des transports, le wali n'en a pipé mot. Les déclarations du ministre de l'Intérieur Belaïz sont en contradiction avec le terrain. La neutralité de l'administration est une utopie." Malgré cela, le candidat ne renonce pas et se considère dans la mêlée électorale comme "le seul opposant". C'est ainsi que l'invité de Liberté s'est dit, résolument, du côté de ceux qui refusent le diktat du régime, et ce, quelles que soient leurs différences d'approche. Il décernera même à ce sujet un satisfecit à l'endroit des jeunes du mouvement Barakat sans toutefois le citer. "Il y a des forces vives qui sont dans la rue et qui ne partagent pas mon combat. Ces forces ont décidé de boycotter. C'est leur droit. En tout cas, l'avenir appartient à ces jeunes. L'histoire de l'Algérie s'écrira avec eux car ils incarnent l'avenir. Ce sont les vrais représentants du peuple. L'avenir de l'Algérie leur appartient. Il est faux de croire que ceux qui sont au pouvoir sont éternels. Il est faux de croire que le pouvoir financier sera durable. Lorsque sonnera l'heure de vérité, lorsque viendra l'heure des institutions, ne resteront que les gens qui ont des convictions, les gens qui sont capables de se sacrifier pour le pays et pour leurs idées." Malgré cette admiration pour "l'Algérie rebelle" et pour "ces forces alternatives qui ne sont pas devant les caméras", la position de Rebaïne reste néanmoins mitigée. "On est en période électorale. Donc celui qui boycotte est en droit de le faire. Seulement, s'il pouvait clarifier ses idées dans le cadre de cette campagne, ce serait encore mieux." Quant à la "transition", un concept devenu le leitmotiv de nombreuses personnalités politiques nationales, Rebaïne affirme en avoir déjà parlé en janvier 2011. "Une deuxième République ? Je veux bien, mais dans quel intérêt ?" De toute manière, pour lui, l'Algérie est bel et bien "à la croisée des chemins". "Le problème majeur n'est pas l'abstention. Ce qui me préoccupe, c'est l'après-17 avril. Où ira le pays ?" Le candidat à la présidentielle ébauchera à ce sujet deux scénarios. Et deux seulement. "Si nous avons un résultat à la Bokassa, il va s'enclencher dans le pays soit un processus d'adhésion ou un processus de mécontentement. Si nous avons un résultat centrafricain, nous devrions avoir, comme le prétendent les soutiens du candidat virtuel, 20 millions d'Algériens dans la rue. Et à ce moment-là, nous nous fonderons, pour notre part, dans la foule et nous continuerons à nous opposer". Mais une telle hypothèse semble pour Rebaïne très peu probable. "Il est vrai qu'on n'a pas vu les 4 millions de signatures...". Par conséquent, il est surtout à redouter, selon lui, des scènes de mécontentement à la suite de la fraude attendue, et ce, d'autant qu'il y a, d'après lui, "une tension sociale" extrêmement vive dans le pays, "à la limite de la rupture", prévient-il. "Que Dieu nous en préserve mais s'il n'y a pas de dialogue, il y a un risque d'affrontement frontal". À l'entendre, il est comme envisagé, en Algérie, "un coup d'Etat populaire". Enfin, quoi qu'il en soit, le pays n'en sera pas à sa première insurrection. Renault Symbol ou Renault "Rabha" Interrogé sur la visite controversée du secrétaire d'Etat américain, John Kerry, à Alger, en pleine campagne électorale, l'orateur dit ne pas avoir peur de l'étranger mais de l'Algérien qui nous vend. Mais que va promettre encore Bouteflika aux Américains ? Le paradis qu'il ne s'est pas assuré à lui-même ? Pour Rebaïne, "qu'il s'agisse Kerry ou de Hollande, ces gens-là défendent leurs intérêts. Le problème est que ceux qui nous représentent sont en train de vendre le pays au plus offrant", rétorque-t-il, sans ambages. D'après lui, les gens qui ont du "nif" (fierté) dans ce pays ne sont pas nécessairement au pouvoir. Loin s'en faut. Quant à la visite de l'émir du Qatar attendu le même jour à Alger, l'orateur dit garder en mémoire les contrats passés avec les Emirats arabes unis. "Si la Cour des comptes venait à se pencher sur ces transactions, on serait surpris". D'après lui, la vraie question est de savoir où sont nos intérêts et qui les garantit ? Il déplore surtout l'absence d'institutions qui vérifient l'utilisation des deniers publics. "Qui défend les intérêts de l'Algérie ? Si j'étais président, aucune entreprise étrangère ne viendrait forer en Algérie. Nous sommes largement capables de le faire." Sur le registre des concessions accordées aux puissances étrangères et notamment à l'ancienne puissance coloniale, Rebaïne reviendra sur le "partenariat" conclu entre l'Algérie et la régie française Renault. Il se dit, ainsi, effaré par les facilités énormes accordées par la partie algérienne (part transférable en devises, position de monopole, exonération fiscale, acquisition de véhicules invendus par le Trésor public, etc.) au constructeur automobile français. "Il ne s'agit pourtant que d'assemblage comme dans le jeu de Lego." Pour Rebaïne, on ne devrait pas appeler le véhicule qui sortira de l'usine d'Oran Renault Symbol mais plutôt "Renault Rabha" (Renault gagnante). Déclinant les axes de sa politique étrangère, le président de AHD 54 se montrera inflexible à l'égard de l'ancienne puissance coloniale. "La France ne deviendra un partenaire que le jour où elle reconnaîtra ses crimes coloniaux. Si les Français ont réussi, eux, à recevoir des excuses de l'Allemagne, je ne comprends pas pourquoi l'Algérie n'y arriverait pas", martèle-t-il. Après avoir réitéré son soutien "indéfectible" à la cause palestinienne, il plaidera pour un partenariat avec l'Afrique du Sud, "un allié stratégique malgré l'éloignement". Sur un autre plan, Rebaïne, pro- Maghrébin convaincu, se dira solidaire de nos frères tunisiens. "Au lieu de donner de l'argent au FMI qui nous a affamés, moi j'aurais aidé les Tunisiens." L'invité du Forum de Liberté n'a pas manqué au cours de son intervention de lancer un appel au professionnalisme des journalistes. "Notre pays à des valeurs sûres, des universitaires et des journalistes qui doivent faire tomber les masques. Ce n'est pas interdit ou honteux de faire de la politique mais il faut l'assumer ! Je vous demande tous, humblement, de délivrer le véritable message à la population. Vous êtes le dernier rempart et le premier support qui peut donner de l'espoir à la population. Il faut avoir le courage de dire non. Vous êtes le quatrième pouvoir, vous défendez les libertés, la société... Le changement se fera avec vous !" M.-C. L. Nom Adresse email