Dans sa livraison du 5 mai courant, Liberté se faisait l'écho d'une déclaration du ministre du commerce (1), faite en marge d'une rencontre au siège d'Algex, selon laquelle "l'activité de l'exportation deviendra une branche à part entière dans la nomenclature établie par le ministère du Commerce et sera détachée de l'importation". La raison invoquée pour justifier cette décision serait liée à "davantage de régulation du commerce extérieur et débusquer les pseudo-exportateurs, qui, en réalité, s'adonnent... à l'import-import". Voilà ce que l'on appelle de la fuite en avant. La question qui est posée à ce responsable est de savoir que va changer cette séparation. On a recours à ces procédés récurrents à chaque fois que l'on se trouve en face d'un problème auquel la solution n'a pas été trouvée. Dès lors, soit on crée de toutes pièces un autre problème pour faire oublier le précédent, soit on promulgue une nouvelle loi, comportant en général un interdit, soit on invente une nouvelle dénomination, comme ce fut le cas d'Algex en remplacement de Promex, soit on détricote l'organisation en place, etc. Comme si tous ces artifices constituaient une fin en soi. 1996 devait être l'année "du sursaut des exportations". Un train de mesures était donc élaboré et censé porter "le niveau des exportations hors hydrocarbures à 2 milliards de dollars en l'an 2000, avec une progression annuelle d'environ 30% par an...". Depuis lors, périodiquement, on entend siffler dans nos oreilles des trains... de mesures sans résultat. A l'évidence, en dépit du carrousel de ministres, au nombre d'une demi-douzaine depuis cette date, aucun résultat notable n'a été enregistré, en dehors de ces sempiternels effets d'annonce stériles, destinés à camoufler le marasme du commerce extérieur algérien ; une situation d'une extrême gravité, allant compromettre durablement l'équilibre global du pays et son développement économique par rapport aux autres nations. En effet, selon une étude de la Cnuced publiée en 2008, le commerce international par habitant dans les pays occidentaux s'élève à 10 000 dollars et la moyenne mondiale atteint 3000 dollars per capita. La part de l'Afrique, dans les échanges internationaux, se situe en moyenne autour de 800 dollars/an, tandis que la part de l'Algérie (y compris avec les hydrocarbures) est de 1600 dollars ; hors hydrocarbures, d'après mes calculs, notre pays se situerait à environ 48 dollars per capita, puisque la part des exportations de l'or noir représente à elle seule 97% de l'ensemble de nos échanges en devises avec le reste du monde. En d'autres termes, avec des recettes à l'export de 48 dollars/ par habitant, sans le pétrole, l'Algérie ferait partie des PMA (pays les moins avancés), en compagnie de la Somalie, du Zimbabwe, du Malawi, etc. Voici le scénario cauchemardesque qui attend notre pays dans quelques années si les responsables en charge du commerce extérieur ne se ressaisissent pas, en associant et en impliquant dans leurs décisions les principaux acteurs du commerce extérieur... Au lieu de cela qu'attend-on fait depuis 18 ans ? Souvent de la fuite en avant, en marmonnant des formules et slogans vides de sens, du genre "made in bledi" (bledi peut être le Maroc ou la Tunisie !). D'un autre côté, on feint d'ignorer le nombre exorbitants d'opérateurs du C/E, au nombre désormais de 35 000, parmi lesquels se trouvent ceux qui se livrent à l'"import-import" (l'écrasante majorité) que veut "débusquer" le ministre du commerce. Ou M. Benbada se moque des Algériens ou il ignore que le Cnis des Douanes algériennes est en charge des mouvements du commerce extérieur de l'Algérie et donc susceptible de fournir tous les détails statistiques à l'import et à l'export, dont aurait besoin ce département ministériel. Rappelons que le nombre d'opérateurs du C/E algérien se situe dans un rapport, entre les deux activités (import-export), de 100 importateurs pour 1 (un) exportateur... Dans la majorité des pays du monde, le nombre d'opérateurs est infiniment moindre, par comparaison au nôtre, et le rapport est inversé pour l'import, étant donné que celui-ci est entre les mains de centrales d'achat, de la grande distribution et des grandes enseignes. Mais à qui la faute ? Sinon aux décideurs qui se sont ingéniés, au nom de la mondialisation et du pseudo-libéralisme, à délivrer à tour de bras des registres du commerce d'import-export (tel est l'intitulé de cette activité dans la nomenclature du CNRC), sans cahiers des charges préétablis ni conditions imposées à des gens qui se sont improvisés importateurs de produits en l'état. En prenant comme boucs émissaires des importateurs qui profitent de la bourse déliée de l'Etat, veut-on exonérer le législateur (autrement dit l'homme politique) de la sienne et dans son sillage les centres de décision administratifs qui créent les lois, fixent les conditions d'importation des produits, etc ? En effet, au nom de l'économie de marché, de la mondialisation et de l'OMC (à laquelle l'Algérie n'est pas encore partie prenante, à force de se gratter la tête et de tergiverser depuis 20 ans), notre pays a quand même souverainement ouvert son marché à toutes sortes de produits portant des codes-barres trempés dans la sueur de peuples lointains. Ainsi, au lieu de trouver des solutions (et il en existe une foultitude) au redéploiement intelligent du commerce extérieur algérien, nous assistons à une débauche d'énergie des décideurs pour contrer l' «import-import», comme si celui-ci était tombé du ciel. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher sur la foule prodigieuse de mesures et de contre-mesures d'ouverture et de fermeture de l'écluse du commerce extérieur, dont l'obligation de recourir systématiquement au crédit documentaire, comme seul mode de paiement des importations algériennes, constitue une aberration complète dont le seul coût, pour la confirmation du crédit par les banques de renom, se chiffre en centaines de millions de dollars... Quelques pistes pour rendre à l'Algérie sa vocation exportatrice Dans un livre écrit par les soins de l'auteur de ces lignes, intitulé "Guide de l'exportateur et des auxiliaires du C/E", il est indiqué une formule de base de l'économie : production nationale + importation = consommation. C'est la situation qui prévaut en Algérie, avec un rapport de 1/3 pour la production locale et 2/3 d'importation. Pour être dans une logique économique rationnelle, il faut que notre pays trouve un juste équilibre dans l'axiome économique suivant : production nationale + importation = consommation + exportation (de toute sortes de produits et non seulement du pétrole !). Les potentialités non encore utilisées, qu'elles émanent du sol, du sous-sol, dont la nature a doté notre pays, sont énormes. Pour mettre en valeur ce potentiel, il faut libérer l'énergie créatrice des entrepreneurs algériens, à l'instar des 100 000 hommes d'affaires algériens qui semblent réussir admirablement à l'étranger. Dans ce contexte, il est nécessaire d'encourager, d'encadrer, de former et de mettre à niveau les producteurs et les opérateurs du commerce extérieur, dans le cadre de stratégies globales à l'export, assorties de programmes comportant des objectifs, des calendriers et des budgets élaborés dans une perspective de réhabilitation des exportations. N'oublions pas que l'Algérie exportait encore en 1972 environ 1 million de tonnes de produits de la terre jusqu'à l'avènement de la "révolution agraire" qui a sonné le glas de l'acte d'exporter, en dehors des hydrocarbures. Notons également que le chiffre d'un million de tonnes fut atteint par le Maroc seulement en 2007. Ceci étant, au lieu de continuer à faire de la gesticulation, avec des effets d'annonce de "débusquer l'import-import", il serait sans doute plus judicieux de commencer d'abord par : débusquer tous les produits exportables qu'ils soient industriels, agricoles, culturels, etc. ; penser une politique d'incitation à l'exportation, à travers l'octroi de lignes de crédits à des taux bonifiés ainsi que le financement des coûts de production de tous les produits exportables ; mettre en place un système de compensation régulable, à travers des pourcentages à déterminer qui seraient imposés aux importateurs avant de leur accorder l'accès à la devise ; ceci serait valable également pour les industriels, bénéficiaires d'enveloppes en devises pour payer leurs intrants, qui devraient exporter un quota de leur production, en tous cas à hauteur des montants en devises allouées par l'Etat ; il y a lieu également de cibler des pays où les produits algériens sont les plus facilement exportables, notamment pour des raisons de distances, de prix, de normes, etc. Au plan administratif la confusion est totale : les attributions et les prérogatives sont partout énoncées, à travers des titres ronronnant et des privilèges sonnants et trébuchants, mais les responsabilités et les sanctions ne sont nulle part. Dès lors, pour mettre un terme au formalisme bureaucratique qui a miné ce pays dans tous les domaines, il importe d'instaurer des contrats de performance, lesquels devraient être assortis de sanctions positives et négatives, applicables à tous les niveaux hiérarchiques de la sphère administrative, économique, voire politique. Etre ministre du commerce, ce n'est pas un poste de sinécure. Il s'agit d'un poste économique qui implique de la part de son titulaire des résultats financiers devant conforter le Trésor public, sinon quelle gloire peut-il tirer d'une place au sein d'un gouvernement juste pour dépenser l'argent du pétrole ? Ceci est également valable pour d'autres ministères stratégiques, comme les transports, le tourisme, la culture, etc., à l'origine de la saignée de la balance des paiements de l'Algérie, faute d'objectifs économiques clairement définies... Il est également navrant de voir des attachés commerciaux, dans la plupart des ambassades d'Algérie, fonctionnant sans objectifs, ni plan d'expansion économique et encore moins d'obligation de résultats ; à la décharge de ceux-ci, aucun gouvernement depuis l'indépendance ne leur a posé de telles conditions... Avec les contrats de performance, instaurés et imposés à tous les niveaux, il s'agirait de rendre responsables tous les guichets et circuits administratifs et diplomatiques, par la mise en place de facteurs d'incitations et de sanctions, de nature à identifier et situer, après évaluation périodique, les carences, là où elles se trouvent, et de distribuer en conséquence des bons points en cas des réalisations des objectifs fixés à l'export, et de demander des comptes, en cas de défaillances à un niveau ou un autre. A mon avis, avec des objectifs clairs, des feuilles de route établies pour chaque secteur d'activité, des contrats de performance généralisés à tous les niveaux et la mise en place de mesures de facilitation, telles que celles préconisées par les Accords de Kyoto, producteurs, importateurs et administrations en charge du commerce extérieur vont découvrir les vertus de l'export et partant se nantir de la culture du résultat qui fait cruellement défaut à notre pays... K. K. (*) 3e cycle en management des échanges extérieurs, des transports et de la logistique, journaliste, auteur et consultant international. [email protected] (1) Au moment où étaient écrites ces lignes, Mustapha Benbada était encore ministre du commerce. Nom Adresse email