La ville se remplissait au fur et à mesure que l'heure du coup d'envoi approchait. Premier soir, première claque : six heures de concert non-stop, des artistes se succédant sur scène pour donner le meilleur d'eux-mêmes, des musiciens qui s'adaptent à la musique Gnaoua, et maâlem Abdesslam Alikane et sa formation Tyour Gnaoua, en fusion avec Sefarat Al Khafâa (ambassadeurs de l'invisible), qui font danser la foule, impressionnante par son nombre, jusqu'à l'épuisement. Après une soirée pareille, difficile de revenir à la réalité. On est envoûté, ensorcelé par l'énergie et l'aura de ce Festival qui en est à sa 17e édition. [D'Essaouira (Maroc), Sara Kharfi] La magie ne se résume pas uniquement à un sort qu'une personne jetterait à une autre pour on ne sait quelle raison. La magie c'est aussi des moments dans la vie où on sent et où croit partager avec un autre que soi (des autres que nous) des valeurs humaines qui ne s'embarrassent pas des interdits de la frontière ou d'autres obstacles fictifs ou imaginaires. Et justement, la musique réussi à produire ce genre des moments de chaleur, et d'espoir ; des moments de possible. Au Festival d'Essaouira Gnaoua et Musiques du monde, qui se tient dans une superbe petite ville portuaire marocaine, littéralement en effervescence durant les quatre jours de l'événement, qui (re)place la culture et notamment la musique ainsi que le patrimoine comme «levier de développement», les notions de partage et de convivialité prennent tous leurs sens. Et c'est avec une parade à l'intérieur de la médina d'Essaouira –de Bab Doukkala vers la place El Menzah– que le festival a démarré, jeudi dernier, aux environs de 17 heures. Plusieurs troupes Gnawa mais également (et entre autres) des Aïssaoua ont traversé la vieille ville offrant des prestations hautes en couleurs et en chorégraphies, sous le regard admiratif des passants et des nombreux festivaliers. Du côté de la grande scène du Festival, au niveau de la place Moulay El Hassan, les spectateurs commencent à affluer de toutes parts. Aux environs de 19 heures, et après les discours officiels, des Gnawa et musiciens rejoignent la scène pour le concert d'ouverture, fruit d'une résidence artistique, qui a réuni maâlem Hassan Boussou (et sa formation), le joueur de rebab Foulane, mais également le remarquable violoniste Didier Lockwood et ses deux musiciens, ainsi que le batteur Karim Ziad. Le répertoire des Gnawa (réactualisé et complètement sorti de son aspect traditionnel ou sacré) a brillé dans ce dialogue entre musiciens ; entre goumbri, rebab et violon, le tout accompagné par des danses qui ont dépassé le cadre de la transe et de la tradition, pour devenir de véritables performances, empruntant à divers courants artistiques. Le «maâlem» du violon Maâlem Saïd Oughassal offrira une superbe prestation avec son groupe, en reprenant des morceaux Gnaoua avec des accents de modernité, notamment sur le plan du répertoire. Il cèdera la scène ensuite à l'artiste français Didier Lockwood, qui était accompagné par Benoit Soulisse à l'orgue et André Charlier à la batterie. En véritable «maâlem» (maître) du violon, Didier Lockwood offrira un tour du monde musical. Le résultat est fabuleux : une grande ouverture sur l'Autre, une liberté dans les thèmes, une virtuosité sur l'instrument, une énergie exceptionnelle. Didier Lockwood c'est aussi et surtout une manière d'être, qui consiste à écouter ses musiciens et à n'en faire qu'un avec eux, car ce qui importe (ou du moins ce qui semble qu'il importe) pour l'artiste est non pas de penser la musique mais de la transmettre, de la partager, et de vivre la magie de l'instant. Ces valeurs ont pris toutes leurs significations lorsque le violoniste, qui a créé un «Centre des Musiques Didier Lockwood», a quitté la scène, pour un bain de foule. Jouer la musique dans le public, avec le public. Un moment magique et d'une grande émotion. La soirée a continué avec le projet Tyour Gnaoua & quartet Sefarat Al Khafâa –qui est la «première formation non-marocaine développant le répertoire traditionnel»)– qui ont réinstallé l'assistance dans une ambiance Gnaoua, avec le retour du goumbri sur scène. Le spectacle, fruit d'un projet entre deux formations, a repris le répertoire et les instruments des Gnawa tout en introduisant une batterie, une basse et une guitare. Une fusion harmonieuse, portée notamment par la voix de maâlem Abdesslam Alikane (directeur artistique du Festival chargé des Gnawa et président de l'association «Yerma Gnaoua»). Somme toute, malgré le brouillard qui s'était installé sur Essaouira ce soir-là, les étoiles ont brillées. C'était des musiciens singuliers et un public de folie. Pour le reste, beaucoup de belles choses restent à venir. Outre le forum de deux jours, «l'Afrique à venir» qui a démarré hier, des artistes sont très attendus, notamment Marcus Miller ou encore Ibrahim Maalouf, ainsi que des soirées intimistes, des prestations de maâlmines et des rencontres («l'Arbre à palabres»). La musique Gnaoua continuera jusqu'à dimanche de rencontrer les Musiques du monde. S. K. (pour la Rédaction WEB de Liberté) Légende photo : Concert d'ouverture : Didier Lockwood, Foulane et maâlem Hassan Boussou. Nom Adresse email