Les commerçants imputent les prix élevés à la flambée de l'euro. Sorti du néant à la faveur de l'ouverture du commerce extérieur, dont il épouse parfaitement les plis anarchiques, le marché de la cité Haï El-Djorf, sis à Bab-Ezzouar, attire encore la foule, en quête de nouveaux produits, susceptibles d'être payés à l'ancien prix. La belle affaire quoi ! Plus connu sous l'appellation de marché “Dubaï”, plutôt que El-Djorf, cet espace que rien ne prédisposait au commerce — le quartier faisant face à l'entrée principale de l'université Houari-Boumediène — a été “technologiquement” créé par les importateurs, eux-mêmes cherchant un terrain d'expression solide à leur activité par le biais d'un réseau de distribution. Un réseau obéissant à leur contrôle, puisqu'ils l'alimentent en toutes sortes de marchandises aussi diverses que variées, que seul le pays de provenance réunit : souvent Dubaï ou un autre pays de l'Asie du sud-Est. Jouets, vêtements, tapis, articles de décoration, lustres, petits appareillages électroniques, ustensiles de cuisine et autres gadgets..., la liste est encore longue. “Il y a 2 ou 3 ans, ce marché faisait le plein de visiteurs. Une véritable filière où on peut tout trouver aux meilleurs prix”, nous déclare le gardien d'un des deux parkings du marché. Mais, note-t-il en connaisseur averti des lieux, “les choses ne sont plus les mêmes aujourd'hui”. Le marché ne survit que grâce à sa réputation. “À une certaine époque, qui n'est pas très loin d'ailleurs, ces parkings n'arrêtaient pas de voir défiler les camions et semi-remorques déchargeant divers produits”, souligne-t-il. C'est ainsi qu'il résume la nouvelle situation. Dubaï, le nôtre bien sûr, n'est plus ce qu'il était. Certes, il fait encore le plein, en termes de visiteurs, il n'en demeure pas moins que la marchandise se fait plutôt rare et ne s'affiche plus en variétés. Preuve en est du nouvel état des lieux, plutôt enclin à l'anémie commerciale, aujourd'hui, au marché Dubaï, on ne négocie plus ou plutôt que rarement. Ces commerçants affichent niet à toute entrée de négociation sur les tarifs. Et paradoxalement, cet aspect a longtemps été considéré comme l'argument de taille qui attirait les foules. “Avant, on était sûr de pouvoir discuter les prix et bénéficier de rabais et remises fort intéressantes. Hélas ! ce n'est plus possible, car la marchandise se fait rare et nous l'achetons très cher, nous aussi”, nous rétorque-t-on. Il y a une année, vous pouviez économiser, sans pour autant être un artiste-négociateur, pas moins de 4000 DA sur l'achat d'un téléviseur ou encore 800 DA sur celui d'un robot ou mixer… Aujourd'hui, avons-nous remarqué, la négociation porte sur… 100 à 200 DA pas plus. Preuve de la rareté du produit. Tout comme du client d'ailleurs, à ne point confondre avec le visiteur. Les concessions sur les prix semblent définitivement closes et avec c'est la réputation, pour ne pas dire la raison d'être, de ce marché qui en prend un coup. Finalement, l'écart des prix, tels que désormais pratiqué, ne motive plus autant les déplacements. Comparés à ceux affichés dans les magasins du centre de la capitale, les prix ne valent plus le détour. Est-ce le temps de la décantation ? Seraient-ce les effets de la flambée de l'euro, comme veulent nous le faire croire ces commerçants ? À notre tour de nous faire passer pour des opérateurs privés, ayant eu un capital dans l'import. Cette usurpation que nous nous sommes permise aura eu son effet, puisque les langues se sont déliées, expliquant la difficulté non avouée du marché. “Les importateurs sont plus prudents. Nombre d'entre eux hésitent encore”, nous dit-on. Pourquoi donc ? “Parce que les pouvoirs publics ont tout fait pour casser les importateurs. On nous oblige à procéder à des déclarations douanières…”, nous rétorque-t-on. Et d'ajouter : “Vous pensez que si vous déclarez la quantité et les prix à l'import, aux douanes et à la banque vous pourriez dégager des bénéfices. Il serait naïf de le croire.” Cette phrase chargée de sens résume une situation d'anarchie qui régnait dans les ports et qui a largement contribué par le jeu de la fausse déclaration à inonder le marché intérieur de produits pas forcément de qualité, introduits en toute franchise douanière, exposés aussi en toute impunité fiscale ou autres contrôles. Ce que nous révèlent ces commerçants explique aussi, en partie, les prix alléchants et attrayants qui étaient pratiqués. La disparition de beaucoup de produits est aussi expliquée par nos interlocuteurs par le resserrement des contrôles douaniers. “On ne nous laisse pas travailler…” Celui-ci a failli poursuivre en réclamant le droit de faire du commerce sans contrepartie réglementaire, fiscale et autre. En fait, le droit à la fraude. Sinon on brandit la menace de faire disparaître les importateurs, pas les vrais du moins. Mais, plutôt, les importateurs contrefaits que les nouvelles lois, fraîchement décidées, s'orientent à défaire, pour les besoins d'une authentique visibilité économique. Au marché “Dubaï”, le langage de la loi ne fait pas recette. Ici, on est débranché par rapport à ses obligations. D'ailleurs, tout le monde en ces lieux pense, réfléchit et raisonne en… euros. Dès que vous contestez les prix affichés, on vous l'explique par la flambée de la monnaie européenne. On ne vous dira pas qu'en général les importations en provenance du sud-est asiatique sont libellées en… dollars et que celui-ci n'a connu jusque-là aucun envol renchérisseur. Quant à l'argument de l'euro, il faudra le placer sur un autre marché, celui des dupes, bien entendu. Au-delà de ce jeu de la conversion où nous perdons au change, en position d'acheteur, il faut signaler que Dubaï se reconvertit aussi dans l'orientation des affaires. Un simple tour permet de noter que la nature des marchandises exposées a beaucoup changé : les textiles, vêtements et chaussures semblent avoir repris du terrain. Majoritairement, elles sont syriennes, turques, égyptiennes et mêmes chinoises. La qualité des vêtements continue tout de même, à l'approche des fêtes de l'Aïd, à intéresser encore une catégorie de clientèle difficile à définir. Entre 11h et 16h30, il y a foule, mais rien n'indique qu'il y a eu foule de transactions. À 850 DA et même 1 100 DA la paire de souliers pour enfants de 5 ans, il y a tout de même de quoi faire “reprendre chaussure au plus tenace des clients”. En fait, dans peu de temps, rien n'exclut que “Dubaï” finira par redevenir Haï El-Djorf, au fur et à mesure que les verrous réglementaires se font entendre. Tous ces types de marché auront bien un jour leur… propre fête. A. W.