Les habitants d'Ouzellaguen ont payé un lourd tribut. Ses quatorze villages ont été rasés par cette offensive militaire du colonisateur français. Des témoins oculaires se souviennent toujours des affres subies par la région. Aujourd'hui, 52 ans après l'Indépendance, rien n'est fait. Routes défoncées, trottoirs délabrés, la circulation automobile est au ralenti, les citoyens vaquent à leurs occupations. Rien n'indique, en cette matinée du mardi 19 août 2014, que nous sommes à la veille de la journée commémorative du 58e anniversaire du Congrès de la Soummam. Un événement hautement historique qui s'est tenu sur les hauteurs de cette petite ville d'Ighzer-Amokrane, un certain 20 Août 1956. Seules quelques affiches des partis politiques et autres organisations de masse annoncent leurs programmes respectifs célébrant cette date historique qui a été un tournant décisif pour la guerre de Libération nationale. Quelques guirlandes et fanions multicolores et des drapeaux aux couleurs nationales sont accrochés devant les sièges de la mairie et de la daïra, longeant la RN26. Le Carré des martyrs du Printemps noir de 2001, sis près du siège de l'APC et le cimetière de Chouhada (1954-1962), bordant la route du Congrès, ont été également ornés de petits drapeaux flottant fièrement au gré du vent. À quelques mètres de ce cimetière abritant les sépultures des 1 500 martyrs tombés au champ d'honneur dans la commune d'Ouzellaguen, des stigmates de la guerre de Libération sont encore vivaces. Un décor triste qui saute aux yeux ! Il s'agit, en fait, de la cité de recasement (SAS), baptisée au lendemain de l'Indépendance, cité Si Nacer, qui apparaît telle une plaie béante au cœur de la ville. Des dizaines, voire des centaines de familles, dont des veuves et leurs enfants. Celles-ci continuent à vivoter dans ces habitations de fortune, construites par l'armée coloniale en 1958, juste après la fameuse opération Jumelles, menée en guise de représailles contre la population locale, dont le seul tort est d'avoir soutenu et organisé le Congrès de la Soummam. Les habitants d'Ouzellaguen, faut-il le rappeler, ont payé un lourd tribut. Ses quatorze villages ont été rasés par cette offensive militaire du colonisateur français. Des témoins oculaires se souviennent toujours des affres subies par les habitants de la région. "Il est vraiment déplorable de constater aujourd'hui, 52 ans après l'Indépendance, que des veuves de chahid et leurs enfants habitent encore dans ces cités de recasement. C'est vraiment honteux", s'est indigné Omar Sadki, fils du moudjahid Si Cherif, l'un des baroudeurs de la commune d'Ouzellaguen. Rencontré à l'entrée de la cité Si Nacer, ce quinquagénaire n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour accabler les pouvoirs publics, accusant ouvertement les autorités locales d'avoir "abusé de la détresse des familles sinistrées, en faisant de leur droit exclusif, à savoir le logement, une aubaine pour le business et le clientélisme. La preuve, tous les programmes de logements dont a bénéficié notre commune depuis l'Indépendance à ce jour, ont été l'objet de magouilles et de détournements. Sinon, comment peut-on expliquer le fait que la plupart des logements RHP destinés exclusivement aux familles sinistrées, sont attribués à des personnes non concernées, dont des étrangers à la commune. Nous avons, d'ailleurs, saisi récemment toutes les autorités concernées (ministères de l'Habitat, de la Justice, le wali, services de sécurité...) en leur demandant de diligenter une commission d'enquête sur la gestion de ce dossier de logements dans notre commune, mais aucune suite n'a été donnée à notre requête pour le moment !". Notre interlocuteur, visiblement outré par la précarité de leurs conditions de vie, tient à rejeter cette formule de logements RHP, arguant que "nous n'habitons pas des bidonvilles pour nous octroyer des logements sociaux (RHP). Nous vivons dans un camp de concentration érigé par l'armée française en 1958. Notre commune mérite bien un programme spécial pour pouvoir reloger toutes les familles sinistrées". Pas de projet notable depuis l'Indépendance De son côté, Rachid Bedjaoui, fils de chahid et membre actif de l'ONEC à Béjaïa, affirme : "Notre commune n'a jamais bénéficié d'un projet notable depuis l'Indépendance. Aujourd'hui, elle souffre d'ailleurs d'un manque criant en matière d'infrastructures et d'équipements publics. Les coupures répétées de courant électrique enregistrées aujourd'hui, le 19 août 2014, prouvent parfaitement que notre région est vraiment délaissée par les pouvoirs publics. Il suffit de voir l'état dans lequel se trouve aujourd'hui le musée d'Ifri, lieu hautement symbolique dans l'Histoire de notre pays, pour se rendre compte du sort réservé à la commune la plus martyrisée d'Algérie. Abandonné et oublié par les autorités, ce musée se meurt dans l'anonymat. Rattaché à la direction des musées de Tizi Ouzou, il est resté sans électricité pendant plusieurs mois, durant toute l'année dernière, sans que nos responsables s'en soucient." Pour ce fils de chahid, ancien cadre de Sonatrach à la retraite, la date historique du 20 Août 1956 devrait être officiellement célébrée chaque année, en présence des hautes autorités de l'Etat algérien. "Car, a-t-il soutenu, il s'agit d'un événement phare de l'histoire de notre Révolution, dont les résolutions contenues dans la Charte de la Soummam ont permis de jeter les premiers fondements de la République algérienne démocratique et sociale." Notre interlocuteur regrette, d'ailleurs, que "cet événement, qui a pu unifier en 1956 l'ensemble des régions et toutes les tendances politiques du pays, soit célébré en rangs dispersés" dans l'Algérie post-indépendance. Pour sa part, Nacer Anki, élu indépendant à l'APC d'Ouzellaguen, nous confie qu'en premier lieu, "j'ai observé une frustration quasi générale devant tant d'injustice à l'égard de notre commune martyre. Sinon comment justifier que des réfugiés de guerre croupissent encore dans les cités de la ‘honte'". L'Etat a, certes, déployé des moyens pour reloger décemment une partie de cette population, mais force est de constater l'insuffisance et la mauvaise gestion de ces moyens, d'autant plus que le recensement des sinistrés a été parasité par de faux réfugiés, dont certains sont carrément étrangers à la commune, ce qui accentue davantage le sentiment d'injustice. Pour faire face à cette situation qui s'aggrave de jour en jour, un plan spécial a déjà été réclamé à maintes reprises par la société civile et par certains élus locaux, mais, malheureusement, cette revendication demeure sans suite, à ce jour, malgré la légitimité de la demande. Ce membre de l'APC, bien que dans l'opposition, reconnaît que sa commune a pu bénéficier des opérations d'aménagements urbains et ruraux, parfois assez conséquents, mais restent toujours en decà des attentes de la population qui se sent marginalisée. "Cette situation, a-t-il expliqué, pousse la catégorie la plus fragile vers l'irréparable, ce qui expliquerait en partie le sombre classement de notre commune dans la catégorie funeste du grand banditisme." Des projets en souffrance Décochant des flèches contre les responsables locaux, M. Anki dira : "Notre commune, bien qu'elle arbore une image qui n'est pas catastrophique, aurait pu présenter une meilleure image, mais la plupart des élus qui se sont succédé aux commandes depuis 1962 à ce jour, n'ont pas su anticiper les choses, soit par incompétence, soit parce qu'ils n'ont aucune notion de l'intérêt général. Mais il se trouve que certains d'entre eux, pour ne pas dire la majorité, se sont souciés beaucoup plus de leurs intérêts personnels et de leurs proches, au détriment de leurs administrés et cela en dépit des moyens mis par l'Etat à leur disposition." Au chapitre du développement socioéconomique, cet élu local nous fait savoir que des projets datant de l'année 2011 sont toujours en souffrance pour des questions administratives, à l'exemple du centre de payement Cnas qui est fin prêt depuis des années, mais tarde à ouvrir ses portes, malgré les promesses des responsables locaux. Il y a aussi le projet de l'unité de la Protection civile, prévu initialement à Hellouane, qui s'éternise à cause du mauvais choix de terrain. Enfin, il faut signaler qu'au village d'Ifri, qui s'apprête à célébrer aujourd'hui le 20 Août, de nombreuses personnalités politiques et des figures historiques ne dérogent pas à la règle imposée ces dernières années par les officiels qui continuent de lui tourner le dos. Décidément, la réhabilitation du message de la Charte de la Soummam et de ses artisans n'est pas pour demain ! Nom Adresse email