Dire qu'une entreprise de démantèlement de la presse indépendante résiduelle est en cours, c'est dévoiler un secret de Polichinelle. Et que les concernés mettent la question en débat constitue une œuvre de salubrité publique... La liberté de la presse est une question éminemment démocratique. Elle est même, si l'on en croit le grand Jefferson, préalable à la question des institutions démocratiques. Aujourd'hui, tout se passe comme si les créneaux survivants de liberté d'expression et d'opinion étaient, aux yeux du pouvoir, les témoins de l'échec de quinze années de normalisation autoritaire de la société. Une société dont le citoyen modèle est caractérisé par l'avidité, la dévotion et la sujétion au pouvoir politique. Réduire ces libertés-anomalies à néant semble désormais constituer comme une œuvre d'accomplissement. Depuis le début de la restauration autoritaire, en 1992, le pouvoir aura tout tenté pour réduire au silence une presse qui s'était très vite — trop vite, à ses yeux ? — approprié un droit d'informer. Un droit que "la culture politique" nationale ne se résigne toujours pas à assimiler. D'un côté, une partie de cette presse se cramponne à un acquis conquis dans l'euphorie libératrice d'octobre 1988 ; d'un autre côté, les pouvoirs successifs, souvent soutenus par des forces de "l'opposition démocratique", s'échinent à briser le reliquat de libre expression. La répression de la presse a commencé en même temps que les fameux "mardis noirs" (en référence à la centaine de journalistes et professionnels de la presse assassinés, le plus souvent, un mardi, entre 1993 et 1996). Mais, depuis, elle n'a jamais cessé. Rien n'a changé, si ce ne sont ses arguments et ses procédés. Le pouvoir aura, en effet, tout essayé : le harcèlement judiciaire, les suspensions administratives, l'imprimatur, les suspensions "économiques", l'attribution arbitraire d'agréments, la répartition politique de la manne publicitaire institutionnelle... Faute d'aplatir l'ensemble du paysage médiatique, il a créé une espèce de "presse marron" gavée de publicité publique et dispensée de frais d'impression, devait noyer ce qui subsistait de presse indépendante. Sauf qu'il n'a pas pu lui offrir un lectorat. Le régime actuel a eu tout le temps, toute la volonté et toute l'omnipotence pour mener à terme sa politique de normalisation totale de la société. Il refuse la parole aux leaders politiques indociles, il mute les syndicalistes insoumis... La télévision a été verrouillée avant même son "ouverture" ! Il ne lui reste plus qu'à réduire les îlots de dissonances qui, dans la presse écrite, chahutent un discours total. Pour aller jusqu'à mettre ainsi à contribution les grands annonceurs, sommés de "couper les vivres" aux titres récalcitrants, il fallait que la tâche fût urgente. Voici ce que disait le ministre actuel de la Communication, quelques semaines avant sa nomination : "Journaliste, j'aime analyser les faits politiques ou de société, j'aime comprendre et faire comprendre. Vous savez je suis un révolté maîtrisé. Et de mon point de vue, il n'y a pas de journalisme sans révolte. Certains hurlent leur révolte, d'autres la subliment. Je fais partie de la seconde catégorie. Nous sommes, toi, moi et beaucoup d'autres des volcans dormants..." Mais qui veut donc alors étouffer les volcans, Monsieur le ministre ? M. H. [email protected]