Slalomant entre roman et poésie, l'auteur Abdellah Khelfa, le plus prolifique des auteurs auressiens, revient à la charge, au plus grand bonheur des lecteurs. Trilingue, le romancier, qui a à son actif des œuvres en arabe, en français mais aussi en berbère, sort un nouvel ouvrage intitulé Pour rester en deuil, entièrement écrit en tamazight. Abdellah Khelfa apporte une touche personnelle et une figure de style rarement utilisée : les alexandrins. En effet, l'auteur, dans ses 101 textes, raconte une rupture entre un homme et une femme, sans donner ni chronologie ni espace ; deux êtres qui s'aiment intensément mais que tout sépare, à commencer par un grand écart d'âge. Quand bien même cette rupture serait voulue, consentie, le déchirement y est. Il y a un amour partagé certes, mais sans lendemain, qualifié d'infécond par le poète, qui, bien qu'il se défende d'être juste narrateur d'une tragédie à deux, se trahit à maintes reprises et devient malgré lui partie prenante. "Le poète n'a pas toujours raison", dit justement le poème. Le poète raconte dans la douleur que l'homme beaucoup plus âgé semble trouver chez sa partenaire beaucoup plus jeune une sorte de repos du guerrier après des années de combats et les affres de la vie. La femme qui est à ses premiers pas dans la vie découvre sagesse, protection, écoute et compréhension... Sentiments qu'elle n'a pas connus auparavant. Ce qui est partagé reste cependant insuffisant pour que cette relation dure. La convention et les traditions qui semblent enchaîner et gérer la société font du mariage l'aboutissement de la relation homme/femme. Or, dans le cas Chehla et de son compagnon, la relation est sans lendemain et éphémère. Un déchirement entre la sagesse et la jeunesse, le pouvoir et le savoir. Malgré cette incompatibilité et tous ces paradoxes, il y a l'amour. Un amour profond, sincère mais secret. L'homme sage n'essaye pas de retenir Chehla, car il sait qu'elle a une vie à vivre, quand bien même il l'aimerait de tout son être, mais la sagesse, la maturité semblent l'emporter sur un amour douloureux. La raison a eu raison sur le cœur. Le poète le dit en filigrane. Chehla est certes partie, mais d'une manière ou d'une autre elle fait parvenir de ses nouvelles à l'homme qui lui fait connaître le véritable amour. Cedépart (ou rupture) est comme un deuil qu'il va falloir garder, mais il peut aussi être le point de départ de quelque chose pour les deux protagonistes, qui ont au moins la satisfaction d'avoir connu le véritable amour.