Deux associations de familles de disparus, le CFDA et SOS disparus, ont réagi à la démarche du “mécanisme ad hoc” de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'Homme. Le traitement dirigé par Ksentini dans le sens prioritaire d'un marchandage des compensations matérielles ne sembla pas convenir aux défenseurs de la cause des disparus. Une telle réaction n'a rien de surprenant pour qui assume les données politiques à l'origine de la crise qui ensanglante le pays depuis plus d'une décennie. La question des disparus est d'abord une question politique. Et les proches de disparus ne semblent pas favorables au bradage d'un épisode qui, même s'il concerne des itinéraires hétérogènes et souvent équivoques, sert de base à une revendication où s'amalgame l'humain et le politique. C'était à l'Etat d'apporter les clarifications disponibles et assurer ses dépassements. En tant que dépassements d'une guerre contre le terrorisme. Mais il fallait préalablement assumer la réalité de cette guerre. En tolérant l'action publique de l'islamisme tout en combattant presque clandestinement son armée, le pouvoir s'est rendu facilement incriminable. Par calcul ou par coïncidence, l'exhumation des quinze cadavres d'un charnier terroriste de Larbaâ tombe à point nommé pour nous rappeler qu'il existe des disparus qui n'ont pas encore droit à cette quête de vérité. Qu'ils aient été enlevés et assassinés par les GIA leur suffit comme épitaphe. Surtout ne les réveillez pas, cela pourrait perturber les réjouissances de la “paix retrouvée”, de “concorde civile” conquérante et de la “réconciliation nationale” en marche. Ceux-là sont morts pour de vrai : cliniquement et politiquement. Paradoxe d'une guerre gagnée militairement et perdue politiquement, il n'y que ceux dont on n'est pas sûr qu'ils aient été assassinés par les groupes islamistes qui ont droit à la mémoire. À part quelques illustres victimes, sacrifiées par les milieux militants, intellectuels ou du pouvoir, la cohorte de bergers, de fellahs, de marchands ambulants, de chauffeurs d'autocars, de patriotes résistants, d'agents de police, d'hommes de troupes de l'armée, passées par le poignard dans les massacres collectifs et les faux barrages sont vouées aux oubliettes de l'histoire, sacrifiées sur l'autel de l'entente retrouvée. Ces disparus, nos disparus, en tout cas mes disparus à moi, c'est à peine si on ne leur jetait pas quelques pelletées de terre sur leurs tombes pour être certains qu'ils ne reviendront pas importuner la fête quand il sera l'heure de sceller l'entente tant quémandée entre l'islamisme et le régime. On se demande même si les tapages autour de certains disparus ne servent pas plutôt à faire effacer l'histoire d'autres disparus. Le pouvoir voudrait bien y contribuer, mais sans le courage d'aller jusqu'au bout, ni dans un sens ni dans l'autre. M. H.