Partie prenante de la coalition gouvernementale et de l'alliance présidentielle, cette formation ne dit pas si elle est prête à sacrifier ses ambitions politiques au cas où les amendements de la loi seraient adoptés. Mise en scène ou véritable levée de boucliers ? En appelant sa base à se mobiliser contre l'amendement du code de la famille, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) fait preuve d'un durcissement qui dans l'absolu, pourrait rompre le pacte conclu avec le président Bouteflika. Aligné jusque-là sur le programme d'action du gouvernement, il fait aujourd'hui de son opposition farouche à la révision de la loi de 1984 un point de démarcation quasi-insurmontable. “Ces modifications sont suspectes. Elles sont dictées par l'extérieur et préconisées par des salonardes laïques”, croit savoir Abdelmadjid Menasra. Intervenant hier devant un parterre de cadres et de militants, le vice-president du parti appelle les oulamas, les exégètes et les chefs de zaouïa à ouvrir un front contre l'application du nouveau texte. La présence, mercredi, de Abderahmane Chibane, président de l'Association des oulamas au siège du parti, devait donner le ton à cette mobilisation. Comme lui, d'autres prédicateurs se sont succédé à la tribune afin de contester les changements prônés par la commission Boutern (du nom de son président). D'ailleurs, la conférence de presse initialement programmée a tôt fait de se transformer en une série de homélies. Premier à prendre la parole, Ahmed Dane, responsable de la communication, n'est pas allé par quatre chemins. Selon lui, comme la concorde civile, l'amendement du code de la famille est une question cruciale qui requiert le consentement de tous les Algériens. Prédisant le verdict populaire, le tribun assure que la Ouma ne peut pas cautionner un projet, comme celui-ci, en nette contradiction avec les percepts de la charia. “D'autres sujets liés à la femme méritent amplement notre attention. Pourquoi ne pas donner la parole aux moudjahidate, se soucier de l'hébergement des nouvelles étudiantes…” prône Dane. À ses yeux, la famille est d'abord “un outil de production et de développement” et c'est à ce titre seulement qu'elle doit être valorisée. Les impératifs matériels semblent, en effet, très importants pour le MSP. De toutes les propositions d'amendement du code de la famille, une seule a trouvé grâce aux yeux de Abdelmadjid Menasra. Elle a trait à la mise en place d'un fonds public au profit des femmes divorcées qui ont la garde de leurs enfants et dont les maris ne prennent pas en charge les frais alimentaires et d'hébergement. Quant au reste des propositions, la sentence de Menasra est sans appel. Elles relèvent toutes de l'hérésie. Bien des fois pourtant, le numéro 2 du MSP fait valoir sa propre logique. À titre d'exemple, il trouve anormal que la répudiation soit soumise à conditions alors que les droits de la femme au divorce (El-kholaâ) soient consacrés. D'après lui, la restriction de la polygamie est une autre ineptie alors que le grand mal rongeant la société réside dans le célibat tardif (El-Ounoussa) et l'adultère. Un jeune imam invité à l'occasion a trouvé une autre raison de maintenir cette pratique. “Un homme peut se distinguer par une virilité exacerbée et ne peut pas se contenter d'une seule épouse”, dit-il. Son point de vue plonge la salle dans une grande hilarité. Cheikh Chibane provoque des rires similaires quand il s'en prend à la suppression du tutorat. “On dit qu'une femme majeure et mûre peut contracter une union de son propre chef. Mais il s'en trouve des désaxées (moukhalkhalate)”, argue l'héritier de Ibn Badis. Le courant hanafiste dont s'est inspirée la commission n'est pas le mieux indiqué selon le cheikh pour trancher cette question. “Si nous cédons sur la question du tutorat et de la polygamie, toutes ces associations féminines, alliées au colonialisme et au maçonnique demanderont plus. Elles ne triompheront que lorsqu'elles auront disloqué la famille et la société algériennes”, prévient le jeune imam. L'avertissement de Menasra est politique. Il s'adresse à Bouteflika. “Ces changements peuvent faire douter le peuple de son gouvernement et lui retirer la confiance qu'il a placée en lui le 8 avril”, avise l'orateur. Se prévalant d'une base importante, le MSP prévoit d'organiser des conférences dans toutes les wilayas pour bloquer la révision du code de la famille. En outre, il appelle les députés à voter contre son adoption. Mais, le parti de feu Nahnah ne dit pas s'il ira jusqu'à sacrifier ses ambitions politiques en se retirant du gouvernement et de l'alliance présidentielle. Pas si sûr. S. L. La controverse Le vice-président du MSP souhaite qu'un traitement similaire soit réservé à la nouvelle version revue et corrigée du code de la famille comme ce fut le cas pour la première mouture datant de 1998. Cette année là, des ateliers chapeautés par le ministère de la solidarité et animés par des représentantes d'associations féminines et des juristes avaient proposé une série d'amendements qui devaient obtenir l'assentiment des parlementaires. Or, aussitôt arrivé à la chambre basse, le projet de loi a trouvé place dans un tiroir pour ne plus en ressortir. Le forcing des islamistes a largement contribué à son blocage. Aujourd'hui, le mouvement de la société pour la paix compte bien user de la même pression afin d'enterrer à jamais tout espoir de changement. “La famille et l'école sont deux questions sur lesquelles nous ne céderons jamais”, a juré, hier, Abderazak Mokri, 3e vice-président et chef de fil du courant radical au sein du parti. Le discours de Abdellah Djaballah, leader d'El Islah, rime autour des mêmes leitmotive. Il reste à savoir cependant si les deux formations ont les moyens de leur politique. Le score insignifiant obtenu par Djaballah lors de la présidentielle d'avril est édifiant dans le sens où son discours ne fait plus fortune. L'emprise du MSP sur la société est également en déclin. Les résultats obtenus lors des dernières législatives faisant foi. Compte tenu de ce constat, la montée au créneau du parti de feu Nahnah prend nettement les allures d'une surenchère. Les harangues de ses leaders visent plus à appâter les militants qu'à faire peur aux autorités. Ceci, d'autant plus que les pouvoirs publics, en équilibristes, se sont contentés de changements très modestes. En effet, les amendements proposés par la commission chargée de la révision de la loi sont qualifiés de superflus par de nombreux juristes et par les associations féminines. Le maintien de la polygamie et la répudiation même avec des conditions perpétuent, selon eux, la nature infamante du texte de 1984. S. L.