La décision de la plus haute instance judiciaire du pays andin a été prise à une courte majorité, neuf magistrats ayant voté pour, huit contre. La Cour suprême du Chili a décidé jeudi de lever l'immunité de l'ancien dictateur Augusto Pinochet dans le cadre de l'enquête sur le plan Condor, ouvrant la voie à un procès pour son implication dans ce plan des dictatures militaires d'Amérique du Sud d'élimination des opposants politiques. La décision de la plus haute instance judiciaire du pays andin a été prise à une courte majorité, neuf magistrats ayant voté pour, huit contre. La Cour était appelée à se prononcer sur un jugement antérieur de la Cour d'appel de Santiago qui avait décidé, à la surprise générale, le 28 mai, de lever l'immunité spéciale dont jouit Pinochet, 88 ans, en tant qu'ex-président autoproclamé. Le gouvernement chilien a été le premier à réagir. “Au Chili, il y a un Etat de droit, les pouvoirs se respectent et personne n'est au-dessus de la loi”, a déclaré le secrétaire général du gouvernement, Francisco Vidal. Les familles des victimes de la dictature militaire, qui a fait 3 000 morts et disparus, ont célébré un “jour historique”. “Pour nous, c'est très important que la levée de l'immunité ait été ratifiée (...). Il ne pouvait y avoir une autre résolution”, a déclaré Lorena Pizarro, présidente du collectif des proches de détenus disparus. “C'est un jour historique, car cet arrêt ouvre une fenêtre pour juger tous ceux qui ont violé les droits de l'homme”, a-t-elle ajouté. De son côté, l'un des avocats des parties civiles, Eduardo Contreras, s'est réjoui de la décision, estimant que “le pays maintenant semble plus démocratique”. Le porte-parole de M. Pinochet, l'ancien général Guillermo Garin, a manifesté pour sa part un “profond mécontentement et (sa) surprise”. Les membres de la Cour suprême avaient entendu mercredi les arguments des deux parties. La défense de Pinochet a insisté sur les problèmes mentaux de “démence légère” qui servirent de base à la décision de la même Cour suprême d'archiver un premier procès contre l'ex-président en juillet 2002 dans l'affaire dite de la Caravane de la mort. Pinochet avait commencé à être jugé en tant qu'auteur intellectuel des crimes d'un escadron militaire accusé d'avoir assassiné 75 opposants dans plusieurs villes chiliennes entre septembre et octobre 1973. Les avocats de la partie civile ont basé leur exposé sur la connaissance parfaite qu'avait M. Pinochet des opérations réalisées au Chili et à l'étranger par l'agence des services secrets Dina et son rôle dans la mise en œuvre du plan Condor. Ils ont aussi rejeté l'argument d'une “démence” du général, en déposant devant la Cour suprême un rapport de trois psychiatres décortiquant une interview accordée en novembre 2003 par l'ex-dictateur à une télévision de Miami, dans lequel les médecins concluent qu'il est en “parfaites conditions”. L'interview, que Pinochet accorda dans le cadre de la commémoration des 30 ans du putsch du 11 septembre 1973 contre le président Salvador Allende, avait été considérée comme décisive par la Cour d'appel de Santiago pour justifier la levée de l'immunité de Pinochet. Dans son arrêt de jeudi, la Cour suprême recommande au juge Guzman Tapia, chargé du dossier du plan Condor, d'ordonner de nouveaux examens pour déterminer si Pinochet, qui va fêter en novembre prochain ses 89 ans, dispose de toutes ses facultés mentales. L'arrêt suggère au juge que “parmi ses premières ordonnances, il demande des examens psychiatriques” de M. Pinochet. “Je dois seulement respecter l'arrêt de la Cour suprême”, a déclaré le juge, ajoutant qu'il n'avait pas “à donner son opinion sur les décisions de ses supérieurs”. Il s'est refusé à tout autre commentaire. R. N.