Le secrétaire général du RND a balayé d'un revers de la main toute divergence entre lui et le président de la République. Bien qu'il ait tenu à avertir, avant l'entame de la conférence de presse, tenue hier en marge des travaux de l'université d'été de son parti à Constantine, qu'il ne répondrait aux questions des journalistes qu'en sa qualité de secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia a consenti, à plusieurs reprises, à se mettre dans l'habit du chef de l'Exécutif. C'est ainsi qu'il a coupé court aux bruits faisant état d'un imminent changement de gouvernement. “Ceux qui attendent un remaniement ministériel seront déçus.” Il a insisté sur le principe de stabilité des institutions, prônée par le chef de l'Etat au lendemain de sa réélection pour un second mandat. “À chaque changement à la tête d'un ministère, le nouveau titulaire a besoin d'au moins trois mois pour s'imprégner des dossiers courants. Nous n'avons pas de temps à perdre”, a-t-il ajouté. Il a balayé également d'un revers de la main l'éventualité de la nomination d'un ministre de la Défense nationale, au motif que cette fonction est dûment remplie par le chef de l'Etat, qui délègue au besoin ses pouvoirs au secrétaire général du ministère sis aux Tagarins. Le patron du RND a mis un zèle particulier à porter aux nues les projets du président de la République Abdelaziz Bouteflika, comme pour mieux ôter des esprits toute suspicion sur “l'entente parfaite” qui les lie encore. “Nous avons soutenu Abdelaziz Bouteflika à gagner un second mandat. Nous resterons à ses côtés”, a-t-il clamé, jeudi, devant quelque 1 800 militants et sympathisants de son parti. Le lendemain, devant les journalistes, il est revenu à la charge en niant toute divergence entre lui et le premier magistrat du pays, comme il a écarté le risque d'implosion de l'alliance présidentielle. “Cette alliance dérange ceux qui ont toujours été incapables de s'entendre, qu'ils soient islamistes ou démocrates. Malheureusement pour eux, ils devront nous subir encore longtemps.s” Ahmed Ouyahia a reconnu que l'avant-projet de révision du code de la famille, qui sera examiné bientôt en Conseil des ministres, oppose le RND au MSP (ce dernier rejette les amendements ayant trait à la suppression du tutorat et aux contraintes posées à la polygamie). “Nous sommes condamnés à avoir des divergences sur certains dossiers, car l'alliance présidentielle ne signifie pas fusion des trois partis”, a expliqué Ahmed Ouyahia. Aussitôt après, il a décoché quelques flèches assassines en direction du parti présidé par Bouguerra Soltani, en lui rappelant que l'alliance présidentielle s'est cristallisée — comme son nom l'indique — autour du programme du président Bouteflika, lequel contient la révision du code de la famille dans la version proposée par le gouvernement. “Nul n'est mandaté pour parler au nom de l'islam”, a poursuivi le Chef du gouvernement, en signifiant à ses partenaires islamistes que leur agitation n'empêchera par l'amendement de la loi de 1984. Il a avancé, pour preuve, l'application en cours de la réforme de l'école, qui a provoqué, pourtant en son époque, un tollé général du côté des islamo-conservateurs. “Le français sera enseigné, en deuxième année primaire, dès la prochaine rentrée scolaire. Cela ne nous fera pas renoncer à l'arabe qui est la langue nationale et officielle de ce pays.” Ahmed Ouyahia a expliqué l'instruction du Chef du gouvernement de faire transiter obligatoirement la publicité institutionnelle par l'Anep, par “un souci de rationalité dans la gestion de l'argent public”. Il a affirmé qu'il n'était pas normal qu'un responsable d'une entreprise publique achète une demie page de publicité dans un journal pour présenter des condoléances ou donner de la publicité à tel ou tel journal parce qu'il a des liens avec sa direction. Sur la non-suppression du visa pour les Marocains par le sacro-saint principe de réciprocité, le secrétaire général du RND a soutenu qu'il est inconcevable que les relations bilatérales entre les deux pays “servent de caution au fait accompli pour faire fléchir la position de l'Algérie sur la cause du Sahara occidental. La question du visa n'est pas liée au principe de réciprocité car elle s'inscrit dans une lecture globale des relations de l'Algérie avec le Maroc”. Interpellé sur le départ à la retraite impromptu du général Mohamed Lamari, Ahmed Ouyahia a estimé le geste tout à fait anodin. “Ce départ n'a pas bouleversé l'ordre des choses”, a-t-il commenté avant de se ressaisir : “Tout citoyen honnête devrait remercier le général Lamari pour ce qu'il a accompli dans la lutte contre le terrorisme.” Sans vraiment expliciter l'essence de sa pensée, il a clos le chapitre en soutenant que “l'ANP n'est pas une armée de fascistes”. Ne dérogeant point à la règle qu'il s'est imposé depuis quelques mois, le secrétaire général du Rassemblement national a longuement discouru sur le professionnalisme perdu de la presse algérienne. “Le pays a besoin d'une presse libre et critique, mais les journalistes doivent savoir qu'ils ont une profession”. À ce titre, il a mis en défi l'assistance d'apporter la moindre preuve que Hafnaoui Ghoul (correspondant local) et Mohamed Benchicou (directeur du quotidien Le Matin) sont en prison pour délit d'opinion. “Les journalistes ne sont pas au-dessus de la loi”, il n'a eu de cesse de le répéter. La suspension du Matin ne serait motivée, selon lui, que par son incapacité à honorer ses factures auprès des imprimeries étatiques. Pourtant, au moins la moitié des titres nationaux sont lourdement endettés auprès de ces imprimeries. Pourquoi alors l'Etat applique-t-il la politique de deux poids deux mesures ? “Je ne dirai jamais à une imprimerie pourquoi exiger d'un tel titre le paiement de ses factures et pas un tel autre. Elle est libre de gérer ses relations commerciales comme elle l'entend”, a répondu le conférencier, sans trop s'étaler. Dans la foulée des questions-réponses, il donnera néanmoins une information édifiante : l'APS, agence de presse officielle, souffre d'un grand déficit budgétaire. “J'ai reçu de la direction de cette agence plusieurs courriers dans lesquels elle sollicite mon intervention auprès de la Cnas et des services des impôts pour qu'ils lui accordent un échéancier de paiement.” S. H. Pas de révision de la Constitution pour l'heure À une question relative aux velléités du président de la République de procéder à la révision de la Loi fondamentale, Ahmed Ouyahia n'a pas trouvé mieux que de rappeler que Abdelaziz Bouteflika n'a jamais menti sur le fait qu'il appliquait une Constitution qui ne lui convenait pas. Le Chef du gouvernement a, toutefois, affirmé que pour l'heure, aucun travail sur la révision constitutionnelle n'est en cours. Montrant qu'il avait bien compris les arrière-pensées de la question qui lui a été posée, Ahmed Ouyahia a estimé “burlesque de dire que le chef de l'Etat pense à un troisième mandat alors qu'il a consommé à peine cinq mois du mandat courant”. S. H. “La réconciliation nationale, c'est vivre normal” Au premier jour de l'université d'été de son parti, organisée du 26 au 28 août courant, Ahmed Ouyahia a développé, devant un public nombreux, à l'hémicycle de l'université des frères Mentouri de Constantine, le thème de la réconciliation nationale. Pourtant, au bout de deux heures, il n'aura pas réussi à éclairer davantage l'assistance sur un concept qui tend à devenir de plus en plus confus. Le secrétaire général du RND s'est évertué à dire ce que la démarche n'est pas, mais il est resté vague sur ce qu'elle sous-entend concrètement. À ce titre, il a réaffirmé qu'il ne sied pas d'enfermer la réconciliation nationale dans l'aspect sécuritaire. “L'Etat n'a pas attendu ce concept pour utiliser différentes formes de lutte contre le terrorisme”. Il a soutenu qu'elle ne s'apparente pas non plus à une solution à la crise politique, qui n'existe presque plus, ni à un projet de société. À partir de là, il est remonté loin dans le passé de la République pour situer ce qu'il a considéré comme la source du mal à assécher. De son avis, la réconciliation nationale prend son essence dans l'impératif de corriger les erreurs, commises par les dirigeants algériens depuis l'indépendance. Des erreurs qui sont à l'origine de la violence intégriste et qui ont aggravé progressivement la fraction sociale. Pour résumer la question, le secrétaire général s'est référé à la définition —laconique au demeurant— que le chef de l'Etat a donné à son concept “Réconcilier les Algériens avec eux-mêmes”. Usant d'un langage que devrait comprendre le commun des citoyens, Ahmed Ouyahia a déclaré que “la réconciliation nationale, c'est vivre normal, comme disent les jeunes”. Ce qui revient à conclure que le projet, porté à bout de bras par le président de la république dans sa quête d'un second mandat, est dilué dans un tout vague et imprécis, difficile à contester parce que difficile à comprendre. Il sert juste a entretenir l'illusion d'une idée à la limite de l'utopique. “La démarche liée à la réconciliation nationale se clarifiera avec le temps”, a fini par lancer Ahmed Ouyahia, épuisé par la récurrence des questions des journalistes sur le sens d'un concept qu'ils n'arrivaient toujours pas à saisir malgré ses tentatives d'explication. peut-être que lui-même n'était pas réellement assuré par ce qu'il prêchait avec un semblant de conviction. S. H.