À force de secouer l'encensoir de la réconciliation nationale, le pouvoir est en passe de mettre tout le monde d'accord et contre lui. Ce qui, hier, n'était pas envisageable est aujourd'hui réalité : Soumoud et SOS Disparus ont conjointement tenu une conférence de presse. Il faut rappeler que si Soumoud assume les préoccupations de victimes du terrorisme, SOS Disparus, en revanche, est réputée rechercher les traces de personnes dont la disparition pourrait être le fait de forces de sécurité. Politiquement, la première association reproduit le principe de responsabilité des terroristes islamistes dans leurs crimes et exactions, la seconde reproduit, sans en faire une position franche et exclusive, la thèse de la responsabilité des autorités dans une partie, plutôt étendue, des enlèvements et disparitions. En gros, la résistance à un terrorisme islamiste meurtrier, d'un côté, et l'imputation à l'Etat de l'essentiel des implications sanglantes du terrorisme, de l'autre. Aujourd'hui que la polémique est dépassée par le reflux du terrorisme sur le terrain, le consensus antiterroriste imposé par le 11 septembre et le désintérêt de la communauté internationale aux crises politiques à effet local, il ne reste plus que les proches de victimes à entretenir les causes des deux bords. La classe politique nationale, plus encline à la gestion de la manœuvre quotidienne qu'à maintenir le cap global, n'a plus le temps de remuer sa mémoire. Et les “amis” politiques et médiatiques de l'Algérie se sont intéressés à d'autres débats plus valorisants, maintenant qu'il n'y a plus de massifs massacres à se mettre sous la dent. Au-delà des positions de départ des deux organisations, cette initiative inédite et parée de la devise “Ensemble pour la vérité et la justice” prononce l'échec symbolique de la réconciliation nationale. La première fois où deux associations d'obédiences opposées, grosso modo “éradicatrice” pour l'une et “qui tue qui?” pour l'autre, se réunissent, c'est pour proclamer l'unique point d'accord : l'attitude du pouvoir n'agrée ni les uns ni les autres. En soufflant alternativement. Ç'aurait été trop facile de “passer par pertes et profits exceptionnels”, un bilan de plus de deux cent mille morts, par l'artifice d'un armistice factice, histoire de permettre au système de perdurer en paix. Cette réconciliation survenue en fait accompli pour le besoin arbitraire de la continuité politique n'a finalement aucun contenu social : c'est un artefact autoritaire. Ni aucun contenu politique : la question du code de la famille qui est en train de faire voler en éclats la mystification de la coalition au pouvoir, de monter des passerelles entre l'islamisme des villes et l'islamisme des champs et d'aggraver les dissensions à l'intérieur même du parti pivot du président, le FLN. Une réconciliation ne peut faire l'économie d'une confrontation entre le présent et le passé, comme ce fut fait en Afrique du Sud. Coïncidence : au moment où l'on constate la remise en question de cette réconciliation par l'amnésie, on apprend que le rapatriement avorté du chef terroriste El-Para avait inspiré quelques exercices de timing politique à nos responsables. Le terrorisme, ça sert donc à faire de la politique. Et pas qu'aux islamistes déclarés. La pseudo-réconciliation aussi. M. H.