Au moment où ce journal célèbre son treizième anniversaire, son directeur, Mohamed Benchicou, purge son quatrième mois de prison. Une première dans les annales de la presse algérienne. Le collectif des travailleurs du Matin a organisé, hier, au siège du journal (à Alger), des portes ouvertes, à l'occasion du 13e anniversaire de la création du quotidien d'information. Mais plutôt qu'à la célébration, l'heure était à l'interrogation. L'avenir apparemment compromis, et la “situation de statu quo” décrite par les délégués du collectif semblent un euphémisme. On peut comprendre – et partager – l'optimisme de nos confrères, la réalité indique pourtant un état trop critique pour espérer la survie du journal. Et pour cause. Depuis le début du mois, les travailleurs ont reçu des notifications de mise au chômage technique. En cessation de paiement, Le Matin ne peut désormais assurer le salaire qu'à quelques éléments du service administration encore en poste. La plupart des journalistes ont déjà commencé à exercer dans d'autres rédactions. “Pour des raisons sociales évidentes, des collègues ont effectivement cherché et trouvé du travail ailleurs, on ne peut de toute façon pas rester ici indéfiniment”, affirmait un des délégués en conférence de presse. Le collectif espère pouvoir reprendre contact avec les pouvoirs publics afin de trouver un terrain d'entente et obtenir un rééchelonnement des dettes envers les imprimeries publiques. Uniquement pour la Simpral (société d'impression du centre, dépendant d'El Moudjahid), les dettes sont estimées à près de 90 millions de dinars, soit neuf milliards de centimes. Celles réclamées par l'administration des impôts s'élèveraient à près de 50 millions de dinars, soit cinq milliards de centimes. Comme un malheur n'arrive jamais seul, les actionnaires se trouvent dans le même temps, et à leur tour, sous le coup d'un redressement fiscal important. Une procédure en référé aurait permis d'apurer la situation financière du journal et, peut-être, lui donner une chance de redémarrer. Une démarche de justice ordinaire, donc civile, est toujours envisageable mais elle prendra beaucoup de temps et sera sans garantie de succès. D'où le désarroi des actionnaires et du collectif. Ce dernier veut continuer à lutter. “On se sent un peu isolé, n'empêche qu'on veut relancer la mobilisation et dire qu'on est toujours là”, affirmait, sans trop de conviction, une déléguée. La mobilisation paraît être un vain mot en pareilles circonstances. Le collectif, humble, le reconnaît à demi-mot. Le Matin est à terre. L'espoir de le voir reparaître est mince. Les reliures exposées, hier, à l'entrée du siège, peuvent être de vraies archives. Le procès politique intenté par le pouvoir contre le quotidien a eu raison de son directeur Mohamed Benchicou, arrêté le 23 août 2003 à l'aéroport d'Alger, mis sous contrôle judiciaire quatre jours plus tard et condamné, le 14 juin dernier, à deux années de prison ferme – peine confirmée en appel, le 11 août, avec la réduction insignifiante de l'amende financière infligée. Par ailleurs, la pression des imprimeurs est allée crescendo depuis l'été 2003. Elle aboutira, en octobre, à un premier redressement fiscal d'un montant de 45 millions de dinars (concernant les exercices 1998, 1999, 2000 et 2001), suivi d'une pénalité de retard de 16 millions de dinars. En février 2004, le fisc réclame à nouveau le paiement, dans un délai court, de 39 millions de dinars, au titre d'IRG (Impôt sur le revenu global). Le 19 juillet, la Simpral adresse un courrier dans lequel elle enjoint au Matin de payer, au plus tard le 24 juillet, la somme de 38 millions de dinars, pour honorer ses arriérés. L'échéancier demandé par la direction du journal est rejeté. Le 23 du même mois, la société publique décide de suspendre l'impression de la publication. C'est le début de la fin effective, d'autant que le siège social, sis à Hussein Dey, est mis sous scellés dès le 21 juin, avant d'être bradé aux enchères, à 21 millions de DA. Le Matin employait 150 personnes qui sont dans le désarroi. L. B.