Dans le droit fil du populisme ambiant, le ministre de l'agriculture déclare que l'importation de la viande rouge saine allait être autorisée. On ignore par quelle interdiction, elle était prohibée, alors que la viande congelée est massivement importée. Si c'est une interdiction légale, il ne reste pas beaucoup de temps - à peine deux semaines - pour la lever, pour que les négociants prospectent et concluent leur marché et pour que les mesures sanitaires soient exécutées. Mais dans cette affaire, le plus déraisonnable c'est la malsaine angoisse alimentaire qui précède le mois supposé d'abstinence. L'avidité anticipée a envahi la société jusqu'aux plus hautes sphères de décision, si bien qu'un Etat entier se soumet à cette ambiance apéritive qui envahit le pays dans les jours qui précèdent le carême. Annuellement, consommateurs et pouvoirs publics désignent les bouchers et les marchands de fruits et légumes. Mais dans quel pays le prix de la viande se maintiendrait-il si tous les ménages se mettaient à en acheter, tous les jours, pendant trente jours ? La bonne chair, comme chacun le sait, se paie. Et si l'on veut en faire une tradition qui occupe un mois par an, il faut en prévoir le budget. S'il y a un thème sur lequel les commerçants sont à l'évidence innocents et irrépréhensibles, c'est bien le prix. Il y a une loi naturelle qui s'est, aujourd'hui universellement imposée, la loi de l'offre et de la demande qui sert de base à l'organisation du commerce, y compris en Algérie. Il est étrange que le consommateur se laisse abuser sur des variables que le commerçant manipule effectivement, comme la qualité et l'hygiène, et exprime son mécontentement au sujet du prix, que le détaillant ne domine point. Quand il s'approvisionne auprès d'un marchand qui dispose ses légumes en immense tas dont le produit du versant exposé au client est d'un calibre et d'une qualité bien supérieurs au versant intérieur, le client trouve tout naturel d'être attiré par une marchandise et d'acheter, en fait, au même prix une autre. Quand il acquiert de la sardine exposée à même les trottoirs, insalubres comme ceux d'Alger, il croit même avoir fait une bonne affaire. L'arnaque n'est pas dans les prix qui eux s'affrontent jusqu'à une relative péréquation. Elle est là où le consommateur et l'Etat démissionnent conjointement : les conditions de qualité, d'hygiène et de conditionnement des produits ; la tolérance des vendeurs improvisés, surtout pendant le ramadan, et l'injustice entre commerçants assujettis au fisc et aux marchands parallèles. Le modèle de communication gargantuesque du ramadan, et qui s'est popularisé, est coûteux. Si les autorités veulent, comme Henri IV, généraliser la poule au pot, elles n'ont qu'à financer les “f'tours”, sans encourager les faux procès qu'on fait au marché. Quand l'Etat tolère d'être servi dans le hideux et cancérigène sachet noir, il n'est pas crédible quand il hurle avec les loups au sujet des prix du ramadan. C'est trop facile pour un pouvoir de démissionner de ses responsabilités pour enfourcher le cheval de l'opinion commune quand elle préconise que l'enfer c'est les autres. M. H.