Il y a 58 ans, l'Algérie a perdu un de ses illustres enfants, Henri Maillot. Issu d'une famille européenne, ce dernier a grandi à El-Madania (ex-Clos Salembier), à Alger. Diplômé de l'Ecole supérieure du commerce d'Alger, il travaille comme comptable, avant d'être mobilisé par l'armée française comme aspirant de réserve, en 1956, dans la région de Miliana. Ayant assisté à la répression qui s'est abattue sur les musulmans lors des événements du 20 août 1955 dans le Nord Constantinois, il en est sorti profondément marqué. Il a, dès lors, pris la décision de se joindre au combat libérateur. Le 4 avril 1956, le militant communiste déserte et rejoint le maquis de l'Ouarsenis, à Chlef, en détournant un camion d'armes. Cette affaire marquera la participation d'Algériens d'origine européenne au combat pour l'indépendance. La fourniture de ces armes de guerre à l'ALN arrive comme une réponse au souci exprimé par des dirigeants du Front, principalement Abane Ramdane. Et c'est au cours de cette année que l'accord FLN-PCA sera scellé, intégrant les combattants communistes dans les rangs de l'ALN. Lors de notre rencontre avec Yvette Maillot, la sœur aînée d'Henri s'est rappelée de ce qu'elle a enduré avec sa famille. Malgré son âge avancé (85 ans), l'ancienne couturière reconvertie dans le travail de bureau dans une papeterie s'est remémoré "le déchaînement" de la presse coloniale qui traitait, à l'époque, l'aspirant Henri Maillot de "félon", l'accusant de trahison. "Je suis fière d'être la sœur d'Henri Maillot et de ce qu'il a fait", confie-t-elle, rappelant que son cadet est mort à l'âge de 28 ans. La période de la guerre de libération a été "horrible" pour sa famille. "On n'avait plus rien ! Mon père était mort. Henri est monté au maquis, puis a été tué. Moi, j'ai été mise à la porte, après 43 ans de service. Notre maison était saisie et, toutes les nuits, on était perquisitionnées et on craignait d'être jetées dehors... Et moi, quand je montais ou descendais du bus, on me fouillait mon sac pour voir si j'avais un révolver ou quelque chose comme ça. J'ai même failli y passer... avec la Main rouge. Ma mère, ma jeune sœur et moi avions vécu l'enfer." Et les voisins ? "Personne ne nous parlait. Le jour de la mort d'Henri, certains faisaient la fête : ça discutait, ça hurlait, il y avait de la musique", répond-elle, la mine renfermée. Concernant la mort de son frère, elle soutient qu'il a été surpris avec ses compagnons d'armes, le 5 juin 1956, à El-Karimia (Lamartine), par les miliciens du bachagha Boualem et les soldats français. Henri, Maurice Laban, Belkacem Hanoun, Djilali Moussaoui et Abdelkader Zalmatt y laisseront la vie. Trois autres combattants échapperont au traquenard. Les corps des 5 martyrs seront exposés dans le village. "Ils ont été arrêtés et mis sur un piton. On a eu des photos. On voit du sang qui coule. On voit Henri et ses 4 compagnons par terre, appuyés au mur... C'est terrible ! On voit un seau d'eau et les trous de mitraillette en pleine poitrine." Yvette précise que les 5 martyrs ont été enterrés dans un champ : "Quand on a appris sa mort, on a demandé un laisser-passer. Pendant tout le voyage, un flic ne nous a pas lâchées. On est descendues à Oued Fodda et on a pris un taxi. C'est là qu'on a vu qu'ils étaient enterrés dans un champ et pas dans un cimetière." A l'indépendance, la mère d'Henri Maillot reçoit une décoration en tant que mère de chahid et perçoit une pension en tant que telle, jusqu'en 1994, date de son décès. Ces dernières années, plusieurs militants de la Révolution réclament une plaque commémorative pour Henri Maillot. En mars dernier, Yvette est approchée par les autorités locales et informée que la placette d'El-Madania, située en face du cimetière chrétien, portera le nom de son frère. Rendez-vous est donné pour le 19 mars. Ce jour-là, la sœur d'Henri, des moudjahidine et moudjahidate, ainsi que des amis sont conviés pour assister à la baptisation de la placette. Mais les représentants de la kasma FLN et de l'APC ne viendront pas et enverront des émissaires pour informer du report de la cérémonie à une date ultérieure. Henri Maillot mérite-t-il cet affront ? "On m'a dit que la rue, je crois la rue Ali Slamani, portera le nom d'Henri, les gens de la kasma sont venus me voir, mais rien n'a été fait à ce jour", s'indigne Yvette, avant d'ajouter : "Il y a quelque chose qui ne va pas. Aucune rue ne porte le nom d'Henri Maillot, pourtant il est algérien et a donné sa vie pour l'Algérie." Elle ne désespère pas, car Henri est et restera son héros : "Ma mère est morte depuis 20 ans, mon père est également mort, Henri l'a suivi une année après... Aujourd'hui, je vis pour Henri."