La loi de finances 2015, le spécialiste financier n'y voit pas matière à optimisme sur certains volets, estimant que la politique économique poursuivie dans le pays "n'est pas la meilleure". Liberté : La loi de finances 2015 prévoit des recettes budgétaires de 4684,6 milliards de dinars et des dépenses publiques de 8858,1 milliards de dinars, soit un déficit budgétaire de 4173,3 milliards de dinars, l'équivalent de 22,1% du PIB. Cette loi n'est-elle pas excessivement dépensière ? Mohamed Ghernaout : L'écart entre les recettes et les dépenses de la loi de finances de 2015 est très important, ce qui entraîne un déficit budgétaire immense, représentant plus de 22% du PIB. Cependant, il y a lieu de rappeler que la loi de finances de 2015 est toujours établie sur la base d'un prix du baril de pétrole à 37 dollars et que le trend du déficit n'a pas cessé d'augmenter depuis une décennie. Il était par exemple, en prenant en considération la loi de finances complémentaire, de 1656 milliards de dinars en 2007 et a atteint 4549 milliards de dinars en 2011. Remarquez que ce dernier montant est supérieur à celui affiché pour 2015. Cette loi de finances s'inscrit dans la même politique économique poursuivie par les autorités politique du pays et caractérisée par une utilisation de la ressource que beaucoup qualifient d'excessive mais se trouve être la seule qui permette de garder et de maintenir une certaine croissance économique, même si du point de vue de la qualité elle n'est pas la meilleure.
La loi de finances 2015 table sur une croissance économique globale de 3,42% et de 4,25% hors hydrocarbures. N'est-ce pas peu, par rapport au budget qu'elle consacre à l'investissement public ? C'est peu, si on prend en considération les taux extraordinaires affichés par certains pays qui dépensent autant. Mais rien ne nous dit que les chiffres de ces pays sont bons ou que les nôtres ne sont pas sous-estimés. En effet, les statistiques du secteur ne sont pas fiables et pas uniquement en Algérie. Par ailleurs, si on prend en considération la situation de crise qui caractérise l'économie mondiale, notamment celle de nos principaux partenaires, les Etats-Unis exclus, je dirais que ce chiffre n'est pas mauvais.
Les transferts sociaux à partir du budget de l'Etat s'élèveront à 1711, 7 milliards de dinars en 2015, représentant 9,1% du PIB, en hausse de 6,4% par rapport aux crédits révisés de loi de finances 2014. La subvention des prix des produits de base (céréales, lait, sucre et huile alimentaire) s'établit à 225,5 milliards de dinars, représentant 13,2% de l'ensemble des transferts. Pouvez-vous nous analyser la problématique des transferts sociaux et des subventions dans le pays ? Les transferts sociaux et les subventions ont deux rôles essentiellement socio-économiques, notamment de filet social pour permettre aux plus vulnérables, y compris ceux qui ont des revenus faibles, de satisfaire leurs besoins essentiels tant en matière de consommation qu'en matière d'éducation et de santé. C'est ce qu'on désigne par "l'achat de la paix sociale". La levée de ces transferts implique l'application de la vérité des prix, de tous les prix, y compris des taux d'intérêt et des changes, et des salaires avec tout ce qui peut en découler en termes d'inflation et de désordre social, si celle-ci se fera dans une conjoncture comme celle que le pays a vécue dans la décennie 85-95. Cette politique permet au pouvoir d'aliéner la population et de la contrôler en lui donnant l'illusion de la protéger en contrepartie de l'abandon de leurs libertés syndicales et de représentativité de la société civile. Elle permet à ce pouvoir d'avoir des partis politiques populaires et de gauche dans son giron et de se maintenir. Mais il est clair qu'elle n'est pas viable. Et il est peut-être temps de penser à procéder à un abandon graduel de cette politique. Avant qu'il ne soit trop tard. Il est question, dans cette loi, de soumettre des biens usagés, les véhicules usagés par exemple, à la TVA sur la marge, en vue "d'encadrer" le marché d'occasion et de "lutter" contre l'informel. Qu'en pensez-vous ? L'intention de chercher de nouvelles niches fiscales est bonne, mais celle-ci est difficile à mettre en œuvre. Il y a lieu de signaler que les textes fiscaux prévoient ce type de ventes occasionnelles quel que soit le statut de la personne qui la réalise. Mais si on soumet ce type d'opération à la TVA, il faudrait ajouter également la TAP, car il s'agit d'une opération sur le revenu exactement comme la TVA. Comment la déterminer et la fixer, et comment éviter la sous-évaluation de l'assiette fiscale ? Ce sont là quelques questions auxquelles il faudrait apporter des réponses.
Le solde du Fonds de régulation des recettes (FRR) à fin 2015 s'établira à 4429,3 milliards de dinars, soit 23,4% du PIB. Quel regard portez-vous sur l'évolution de ce fonds, dans la perspective d'une conjoncture pétrolière pas tout à fait bonne ? Le fonds de régulation des recettes des hydrocarbures a été institué en 2000 dans le but de gérer les excédents de recettes des hydrocarbures, notamment le remboursement des dettes publiques, y compris externes, et la couverture du déficit du trésor budgétaire. Il enregistre des baisses régulières depuis 2008 où il a atteint son pic en raison d'un haut niveau atteint par les prix des hydrocarbures, notamment celui du pétrole brut. L'encourt de la dette externe étant très faible, la vocation essentielle de ce fonds souverain est réservée presque exclusivement à la couverture du déficit budgétaire qui n'existe que parce que la loi de finances est réalisée sur la base d'un prix de 37 dollars le baril de pétrole. Si on appliquait le prix réel des hydrocarbures, on aura un budget excédentaire. Son évolution va dépendre de la conjoncture énergétique internationale. Ce qui est embêtant avec ce fonds, c'est sa contrepartie devises qui n'est pas utilisée d'une manière profitable. Les autorités du pays ont choisi la prudence à la rentabilité. C'est un choix qui lui permet d'assurer son rôle d'une manière quasi totale sur sa vocation de couverture du déficit budgétaire. Y. S.