Depuis bientôt 40 à 50 ans, le Kouif, ce village, jadis isolé mais très accueillant, a vu partir en silence le legs de la mine qui lui a donné naissance. Historique sommaire de la découverte des phosphates du Kouif Le mouvement d'urbanisation qui donnera naissance à l'agglomération d'El Kouif, dont l'appellation coloniale était Djebel Kouif, a commencé au lendemain de la découverte du phosphate dans la région, d'abord au niveau du Dyr, localité attenante à Morsott, actuellement commune de la wilaya de Tébessa, plus tard à El Kouif. C'est à partir de 1893 que le minerai du Kouif a été exploité et acheminé vers le port de Annaba, par chemin de fer à vapeur dont les lignes Annaba- Souk Ahras et Souk Ahras-Le Kouif furent définitivement électrifiées, respectivement en 1932 et en 1951. La production a connu une courbe croissante, atteignant 41 348 tonnes (T) en 1898, 650 000 T en 1947, et 757 500 T en 1955. A partir du 18 avril 1912, la Compagnie des phosphates de Constantine va s'atteler au développement des conditions d'exploitation du phosphate et de vie au village. Ainsi, le creusement de galeries est complété par la mise en place d'un réseau ferré reliant le fond de la mine aux usines de tri, de traitement et de conditionnement du phosphate et l'ouverture de celles-ci, la construction d'une centrale thermique et d'une usine à oxygène pour la préparation des explosifs, de même qu'un laboratoire d'analyse du minerai et un bâtiment de compresseurs pour alimenter en air les galeries de la mine et divers ateliers (mécanographie, menuiserie, forge, mécanique,...). Parallèlement, pour accueillir les cadres, agents de maîtrise et ouvriers français, il est édifié un cercle-hôtel avec salles de lecture, de correspondance et de jeux, un café-restaurant, puis un salon de coiffure, un bureau de tabac, un bureau de poste et une grande salle de fêtes, qui servirent pour les loisirs. Dans le même moment, commencera le mouvement d'urbanisation du village. Historique sommaire du mouvement d'urbanisation du village Le village peut être saisi en corrélation avec le mouvement d'urbanisation. Son origine se trouve dans la division sociale et professionnelle. Le village devient compréhensible par la place des couches sociales et des catégories professionnelles, c'est-à-dire par la logique de localisation des uns et des autres. Ainsi, pour assurer les conditions de vie des cadres, des agents de maîtrise et des ouvriers de la mine, il sera édifié des villas pour les cadres, des "villages" (ensembles de petite villas sinon de maisons de moindre importance), pour les agents de maîtrise, les ouvriers français et quelques Algériens des couches moyennes. Le recrutement de la main-d'œuvre abondante et bon marché étant recherché, la mine a été obligée d'élargir la zone de mobilisation jusqu'à englober tout l'Est algérien et la Kabylie, voire des communes plus éloignées. Ces maisons furent attribuées respectivement aux Espagnols et autres habitants européens, aux Algériens issus de la Kabylie, et de l'Est (Constantine, Jijel et Skikda), qui se sont regroupés par affinité familiale, régionale ou même ethnique. Enfin, le village de la gare a été réservé à des habitants des couches moyennes, alors que le village de Aïn El Bey, constitué de studios, était destiné aux célibataires. Plus tard, sera construit "le village blanc". Au même moment, une solution arrangeant le mieux la compagnie s'est mise en place : fournir le plus grand nombre d'abris rudimentaires dans des sortes de "ghettos", le plus près de la "bouche" de la mine, de ses différents ateliers et garages. Des abris portant les noms de douar El Ghorba (des étrangers), pour les uns, et de douar El Fougaâ (des champignons), pour les autres. "Ces zones d'habitations, constituées exclusivement de ‘gourbis' (taudis), étaient sans acne norme de confort ou d'hygiène' et surpeuplées (d'un lumpenprolétariat)". Il importe, à ce stade de la réflexion, d'avoir à l'esprit que "la dispersion de l'habitat et la dépendance engendrée par l'insécurité de l'emploi pour les indigènes" vont participer à rendre la main-d'œuvre de la mine "peu combative" et "peu organisée". Pourtant, "le village induira une plus grande ouverture d'esprit du fait des nombreuses des contacts directs et des relations entretenues avec les voisins, les camarades de travail et les commerçants". Pour prendre en charge les problèmes d'hygiène, il sera construit une station de pompage avec stérilisateurs d'eau et un bain maure, avec salles de massage, de sudation et de repos. Ces édifices seront complétés par de nombreuses infrastructures sportives : un stade de football, des courts de tennis, de terrains de boules et de basket, et plus tard, une piscine, initialement réservée aux seuls Européens de souche. La mine devenait petit à petit une ville. Vivant pratiquement en autarcie, avec ses infrastructures modernes, le Kouif était intimement lié à l'exploitation de ses richesses dont la production annuelle de phosphates avoisinait les 900 000 T, dans les années 1950-1955. Entre- temps, d'autres infrastructures avaient été créées en amont (fermes pour les exploitants agricoles, jardin-maraîcher pour la production de fruits et légumes, grande étable pour la production du lait, moulin, boulangerie mécanique...) et en aval (abattoirs, boucherie- charcuterie, limonaderie, etc.). Pour les services publics, il a été créé un bureau de poste, un hôpital de 25 lits, une infirmerie, un bloc opératoire, des cabinets (dentaire et de radiologie), ainsi qu'une pharmacie. Pour les besoins de la scolarité des enfants des Européens et très accessoirement des Algériens, l'école d'apprentissage a été convertie en groupe scolaire de la classe enfantine à celle de troisième (niveau moyen). Enfin, pour répondre aux croyances et vœux de la population, une chapelle (Notre Dame du Kouif) et une mosquée ont été construites. La mine disposait également d'un parc-autos appréciable et d'un aérodrome reliant Ras-El-Ayoune à Tébessa et à Annaba. Histoire sportive sommaire du Kouif Pour situer l'histoire sportive du Kouif, trois dimensions sont à retenir. La première concerne la date de création de l'équipe Vedette du Kouif (EVK), en 1912, probablement le vétéran des équipes constituées en Algérie qui, sans le caractère colonial qui fût le sien, aurait concurrencé et détrôné le Mouloudia Club d'Alger et le Club Sportif de Constantine. La seconde a trait au meilleur footballeur de sa génération et probablement de toute l'histoire sportive algérienne jusqu'à présent, Djenaoui Boussaid. Des articles de journaux donnent une idée sur le parcours du joueur qui, né à Souk Ahras le 18 janvier 1919, a réussi une carrière sportive de 1933 à 1955, presque entièrement au Kouif, au sein de l'EVK, une équipe consacrée championne départementale de 1re division en 1949, qui a joué les quarts de finale du championnat d'Afrique du Nord durant la saison 1937/38 (match qu'elle a perdu face au futur détenteur de la coupe d'Afrique du Nord, l'Olympique Marocain) et qui a remporté un match amical, au cours duquel elle a écrasé, par un score de 4 buts à 0, l'équipe de Kladno (Tchécoslovaquie), entraînée par Guillaume Wagner, surnommé Willy Wagner, le footballeur allemand naturalisé français et ex-gardien de but du Football Club de Sochaux. Le troisième élément est à rapporter au parcours désormais célèbre d'un habitant du Kouif, Dr Maouche Mohand-Amokrane, un des pionniers des institutions sportives algérienne et africaine, dont le père a été le chef des gardes-champêtres de la mine. Natif de Tissera de la wilaya de Béjaïa (11/8/1925- 2/1/1971), ce dernier s'est distingué en tant qu'athlète (champion universitaire du 100 m) avant de rejoindre Alger pour entamer des études de médecine, où il a d'abord joué au Red Star d'Alger, avant de rejoindre, au lendemain des massacres du 8 mai 1945, le MCA. A l'indépendance de l'Algérie, il deviendra le premier président de la Fédération algérienne de football (1962-1969), et le premier président du Comité olympique algérien (octobre 1963-mars 1965). Dr Maouche sera également le vice-président de la Confédération africaine de football à l'"époque de Monsieur Tessema l'Ethiopien". Histoire sociale sommaire La première action syndicale menée par les mineurs du Kouif a lieu le mardi 9 mars 1937. A ce sujet, Nouschi André rapporte qu'après les "échauffourées" de Sidi Bel-Abbès, en février 1937, les ouvriers mineurs du Kouif "se mettent en grève (...) (et) veulent empêcher la reprise du travail. D'où bagarres, intervention de la gendarmerie et des troupes de la légion. Au moment où un train de minerai va partir, la lutte redouble de violence ; les grévistes sont sur le point de submerger la police, lorsque celle-ci ouvre le feu, faisant 5 morts et plusieurs dizaines de blessés ; il y a quelques blessés légers du côté des gendarmes et des légionnaires". A. T. Bendiab estime que cette action s'est déroulée le 12 mars 1936, journée au cours de laquelle "1000 ouvriers, tous Algériens, manifestent dans les rues du Kouif. La police intervient : on y relève 5 blessés". Relatant les mêmes événements dans l'ouvrage qu'il consacre à "la guerre d'Algérie", Alleg Henri écrit qu'en mars 1936, les mineurs se sont mis en grève, précisant que "policiers et légionnaires ouvrent le feu contre les grévistes des mines de phosphate du Kouif. Cinq morts et des dizaines de blessés". Plus importante encore sera, plus tard, la grève de 1948, qui débutera le 2 mai, ponctuée aussitôt, selon A. T. Bendiab, par un "Appel du comité de coordination des syndicats pour le développement de la solidarité avec les mineurs du Djebel Kouif". Bendiab ajoute que le 9 mai 1948, "pour briser la grève des mineurs du Djebel Kouif", l'administration recrute des occasionnels : racolage dans les douars voisins des mineurs avec la collaboration du caïd, du garde-champêtre, de l'administrateur. Ces "jaunes sont transportés sous escorte militaire". Contrairement à l'avis susmentionné, Bourouiba Boualem affirme que la grève, réunissant 2000 mineurs, a duré 70 jours, soutenant qu'elle a été conduite "sans aucune solidarité ouvrière". Mme Nora Benallègue- Chaouia estime la date de lancement de la grève au 9 mai et précise qu'elle a réuni 1700 mineurs et 2 Européens du Djebel Kouif, suite au licenciement de 8 ouvriers dont 4 responsables syndicaux ; et que la grève a duré 63 jours, après satisfaction des revendications des mineurs. Feu Akkache Ahmed, à l'époque journaliste d'Alger républicain ayant couvert cette grève, dira, courant des années 90, au cours d'un entretien privé à l'Institut national du travail qu'il dirigeait, que cette grève a constitué "une jonction entre la conscience sociale et la conscience nationale". Contrairement aux uns et aux autres, Kaïdi Lakhdar, militant syndical et nationaliste convaincu qui a suivi cette grève mémorable, a relevé dans ses entretiens avec Djabi Nasser que la grève s'est déroulée en 1947, qu'elle a duré pratiquement 3 mois et qu'elle a été organisée par la CGT pour l'obtention de toute une série de revendications : sécurité (accidents de travail mortels) et protection sur le plan hygiène, sécurité sociale dans les mines, augmentation des salaires et "problème d'habitat". L'autre problème qui tenait à cœur à l'époque était le départ des prisonniers, condamnés aux travaux forcés pour travailler à la mine. Les autres revendications concernaient notamment l'augmentation des salaires et la prise en charge des travailleurs par la sécurité sociale. Le recrutement de la main-d'œuvre abondante et bon marché étant recherché, la mine a été obligée d'élargir la zone de mobilisation jusqu'à englober tout l'Est algérien et la Kabylie, voire des communes plus éloignées. Ces maisons furent attribuées respectivement aux Espagnols et autres habitants européens, aux Algériens issus de la Kabylie, et de l'Est (Constantine, Jijel et Skikda), qui se sont regroupés par affinité familiale, régionale ou même ethnique. A-L. A. Sociologue, natif d'El-Kouif [email protected]