L'élection de Si Béji Caïd Essebsi à la tête de la Tunisie est à saluer comme une immense victoire pour le peuple tunisien, quatre ans après le déclenchement de la première révolution démocratique dans ce pays. Cette élection est aussi un puissant encouragement pour tous ceux qui rêvent de transition démocratique dans notre propre pays. Il faut féliciter le principal artisan de cette victoire, le peuple tunisien, qui a su se hisser, encore une fois, à la hauteur d'un défi majeur. Aux esprits chagrins et aux sceptiques d'ici et d'ailleurs, qui prédisaient l'échec du Printemps tunisien et qui doutent encore de sa réussite, malgré la démonstration électorale de dimanche dernier, il faut rappeler que la petite Tunisie a su construire sa démocratie sans l'aide de personne, sans richesse pétrolière et dans des conditions socioéconomiques extrêmement difficiles. Les désordres en tous genres entraînés par la Révolution ont provoqué le quasi-tarissement du flux de touristes et de capitaux étrangers, qui étaient le nerf de son économie, provoquant une grave crise financière. Peu de pays auraient pu survivre dans de telles conditions. Et pourtant, courageusement, ne comptant que sur son génie propre et sur le dialogue entre toutes les forces vives qu'elle recèle, parmi lesquelles les femmes qui n'ont pas été les dernières à s'engager, la Tunisie a su relever le défi. Après quatre ans de débats parfois houleux, mais dans un esprit toujours positif, partagé par la quasi-totalité des acteurs politiques et sociaux qui ont su dépasser leurs antagonismes idéologiques, elle s'est dotée d'institutions démocratiques que beaucoup de pays, même de longue tradition démocratique, peuvent légitimement lui envier. Car ces institutions ne lui ont pas été imposées de l'extérieur. Elles sont le résultat d'une démarche souveraine et le produit des élites politiques tunisiennes. C'est pourquoi le peuple les a validées à chaque étape. Ces institutions seront forcément durables car adaptées aux spécificités de la société tunisienne. Elles prennent en compte les expériences passées et récentes du pays, sans rien renier, ni de ses particularismes ni de ce qu'il doit à la civilisation universelle dans laquelle il entend inscrire son devenir. Le peuple tunisien a produit une Constitution moderne et consensuelle, qui est le plus sûr moyen d'empêcher tout retour en arrière et l'assurance qu'aucun pouvoir despotique ne viendra plus entraver son épanouissement. Il a adopté le meilleur des régimes — le régime parlementaire — qui permettra l'expression de toutes les sensibilités, sans qu'aucune d'entre elles ne puisse, un jour, revendiquer, pour elle seule, l'exercice du pouvoir. Il n'a voulu renier ni sa sensibilité islamique ni sa sensibilité laïque, consacrées si intelligemment à travers le concept d"Etat civil". Il s'est ainsi prémuni contre les risques d'instrumentalisation de la religion par des groupes tentés d'en faire un tremplin pour arriver au pouvoir et, une fois ce but atteint, d'imposer un pouvoir totalitaire. Oui, c'est bien cela qui constitue la plus grande victoire du peuple tunisien : la garantie de l'alternance au pouvoir. Alternance qui sera assurée par le fait que le peuple, en exerçant le droit souverain que lui reconnaît la Constitution, renverra chez eux tous les élus qui n'auront pas su tenir la promesse de servir le peuple. Qu'ils soient de gauche ou de droite, islamiques ou laïcs. Puisse notre pays s'inspirer de cette belle expérience, pour réussir une transition démocratique aussi accomplie et aussi pacifique. Ce ne sera pas la première fois, sachant combien l'exemple des fellagas tunisiens a été une importante source de motivation lors du déclenchement de notre glorieuse Révolution il y a 60 ans. A. B.