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René Vautier, le Chaoui de Bretagne
Il tire sa révérence après de longs combats
Publié dans Liberté le 06 - 01 - 2015

Toute sa vie, René Vautier a mené des combats pour survivre et pour donner un sens au mot justice. Sa dernière bataille, il l'a livrée contre la maladie contre laquelle il a résisté longtemps et courageusement (comme à son habitude).
Mais les grands ne meurent jamais vraiment. Il fait désormais partie et à jamais, de l'histoire de l'Algérie et de la mémoire collective des Algériens. Il suffit pour cela de compter le nombre d'hommages qui lui ont été rendus à travers les réseaux sociaux et les médias algériens.
Après la disparition de Djamel-Eddine Chanderli, de Pierre Clément, de Serge Michel, de Pierre Chaulet, de Jacques Charby et de bien d'autres, il était avec Stevan Labudovic, l'un des derniers survivants parmi les pionniers des batailles des images menées entre 1956 et 1962 au service de la cause algérienne. René était un personnage exceptionnellement attachant. Voici comment l'historien du cinéma, Tangui Perron le décrit : "Homme de légende entretenant la légende, cinéaste baroudeur battant la campagne, bavard impénitent. Un livre et un flot d'adjectifs n'y suffirait pas. L'œuvre de René, on aurait tendance à penser que c'est surtout l'homme lui-même, René Vautier, avec ses aventures incroyables et souvent vraies, alors que sa filmographie multiforme et protéiforme est difficilement saisissable."
René Vautier était arrivé à Tunis fin 1956, début 1957, à la demande du gouvernement tunisien pour tourner des films sur la nouvelle République indépendante tunisienne. C'est Mahmoud Guennez, dirigeant la première école de cinéma créée à Tunis par Abane Ramdane, qui l'a introduit avec Cherif Zenati, en 1957 dans la zone V de la wilaya I, après une projection à Tunis de ses films précédents, dont Afrique 50.
Tout en s'engageant aux côtés des Algériens en guerre contre le colonialisme, Vautier a tenu à garder sa liberté de pensée. "Je n'étais pas membre du FLN, j'avais mes opinions, j'étais communiste, je voulais être libre de montrer... et de dire surtout que la paix ne pourrait revenir que par l'Indépendance. Après avoir trouvé un accord avec Ramdane, c'est dans les Aurès-Némentchas que j'ai tourné Algérie en flammes". On retrouve René Vautier à Sakiet Sidi-Youssef le jour du bombardement par les avions français de ce petit village tunisien. C'était le 8 février 1958. On sait par ailleurs que Pierre Clément et Djamel Chanderli sont arrivés rapidement sur les lieux et tourné des images du film Sakiet Sidi-Youssef.
Dans son livre Le Choix de l'Algérie, il est écrit que le premier des cinéastes étrangers venus rejoindre le Front, "fut certainement René Vautier" qui avait réalisé au début des années cinquante, des films anticoloniaux. Il avait déjà à son actif un film, Une Nation
l'Algérie, le premier à représenter un plaidoyer clair en faveur de l'indépendance de l'Algérie.
Par la suite René a réalisé, une série de courts métrages, dont Algérie en flammes ainsi que des reportages qu'il a filmés à la frontière en liaison avec les groupes de la wilaya I, du côté tunisien dans la zone frontalière, notamment Les infirmières de l'ALN, Images d'un combat et Le train de l'Ouenza.
Il faut signaler que les premières caméras dont a disposé l'ALN entre 1956 et 1957 étaient les caméras personnelles amenées à Tunis par
Chanderli, Vautier et Pierre Clément. C'est avec ses propres caméras que Vautier a formé les premiers techniciens de l'école de cinéma : "Je suis reparti en Algérie avec quelques gars qui ont tous essayé de se servir du matériel. J'avais une petite caméra Paillard et ma vieille caméra, une ETM, caméra d'amateur. On avait un petit magnétophone. On ne peut pas dire que c'était une école de cinéma au maquis. C'étaient des gars qui portaient le matériel et apprenaient à s'en servir." Les images du minage du train de l'Ouenza prises par René Vautier, apparaissent dans plusieurs autres films et à l'époque, la propagande française s'était acharnée à vouloir démontrer qu'il s'agissait d'un trucage. En 1982, alors que je dirigeais les services de production de la RTA, j'ai demandé à René Vautier d'évoquer ses souvenirs de la guerre de Libération, vingt ans après l'Indépendance.
Il a donc réalisé pour la RTA un film intitulé Images pour la liberté dans lequel il a prouvé que les images du minage du train de l'Ouenza avaient été bel et bien filmées dans l'action, et au passage du convoi. René Vautier est également connu pour sa bravoure. Ahmed Rachedi l'avait accompagné lorsqu'ils sont partis filmer la ligne
Morice. Dans Cinéastes pour la liberté, il vante la témérité du cinéaste breton lors de ce passage sur un terrain truffé de mines. Il n'a fallu que 10 minutes pour monter, mais quatre heures pour redescendre de la colline. "René faisait partie des cinéastes qui étaient prêts à prendre des risques énormes pour prendre des images".
Dans un film de Saïd Mehdaoui, Lamine Bechichi, raconte comment Algérie en flammes a été diffusé par la télévision soviétique à l'insu des responsables de l'ALN. Selon Bechichi le cinéaste fut accusé à son retour du
Caire, d'avoir voulu vendre le film et fut emprisonné pendant plusieurs mois. Libéré, Vautier n'a jamais tenu rigueur à ses geôliers de son incarcération, dira Bechichi.
En réponse à François Mitterrand qui avait dit : "L'Algérie, c'est trois départements français, et qui resteront partie intégrante de la France", Vautier réplique : "Si l'Algérie, c'est la France... j'ai le droit d'aller avec ma caméra poser quelques questions à ces Français qui ne veulent plus l'être."
Vautier a rejoint Alger dès les premiers jours de l'Indépendance. Il a créé ce fantastique réseau des Ciné-pops qui a marqué les mémoires, tout en animant au centre audiovisuel de
Ben Aknoun, la première cellule du cinéma algérien libre. C'est dans ce centre qu'il a réalisé avec l'ensemble de ses compagnons de lutte de Tunis, le premier film collectif algérien, Peuple en marche. Revenu en France à la fin des années 60, il a continué son combat contre le colonialisme en réalisant deux longs-métrages de fiction Avoir Vingt ans dans les Aurès et La folle de Toujane.
En 1982, à l'occasion du vingtième anniversaire de l'Indépendance j'ai invité René Vautier à venir avec Stevan Labudovic et Carl Gass, évoquer leurs souvenirs de leur guerre de Libération. René avait réalisé alors pour le compte de la RTA Images pour la liberté, un moyen métrage que nous avions présenté en juillet 1982 dans une des émissions de télé cinéclub.
Pour l'anecdote, il s'était présenté à l'antenne comme un cinéaste breton en précisant : "Les Bretons sont les Chaouis de la France." Le souvenir de ce Breton-Chaoui restera pour toujours gravé dans notre mémoire collective.


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