La brutalité ordinaire a encore frappé. À Oran, cette fois-ci. La violence dans et autour des stades a, pendant quelques années, sali et, parfois, maculé le sport en général et le football en particulier. L'anonymat et l'effet de foule rendaient possibles l'élargissement et l'impunité de l'instinct primaire. Les autorités des plus grandes nations sportives et les instances internationales ont réagi à cette banalisation de la brutalité qui a élu domicile dans les gradins surpeuplés. Les arènes sportives du monde ont peu à peu repris leur fonction festive. En Algérie, en revanche, les débordements autour des manifestations sportives semblent bénéficier de quelque bienveillance officielle. Ce n'est jamais les auteurs des actes violents qui sont réprimés ; on en est encore aux sanctions classiques contre les clubs et les stades. Des dépassements individuels sont traités comme fautes sportives et le règlement de la Fédération algérienne de football fait office de loi là où se manifeste un délit de droit commun. En fait, cette complaisance vient tout droit d'un phénomène propre aux régimes autoritaires qui surpolitisent la société. Quand on décide de faire des associations sportives de véritables groupes de soutien politique, on s'interdit de laisser la loi sévir contre ceux, parmi les collectifs de supporters, qui l'ont enfreinte. Cette complaisance tacite est à la violence des stades ce que la concorde est au terrorisme : l'impunité contre la collusion avec le pouvoir. Partant de cette conception, Bouteflika va confondre Bab El-Oued avec le MCA et l'USMA et va ignorer associations à caractère social et partis pour se consacrer aux visites de cercles sportifs lors de sa tournée dans le quartier. Il promettra l'assiette du stade Ferhani, très probablement sur suggestion d'un collaborateur et néanmoins dirigeant du Mouloudia, ce terrain bien plus adapté à des activités sportives de quartier qu'à accueillir un club professionnel. De même que l'action du pouvoir qui tente au fil des rencontres internationales de la JSK d'embrigader le club dans sa stratégie visant à contrarier le combat du mouvement citoyen de Kabylie. Le résultat le plus grave en est la flambée de violence dans l'arène de Tizi Ouzou jusqu'ici réputée pour son sens de l'accueil. Mais les dirigeants de la JSK en avaient trop fait à vouloir exposer leurs supporters comme les représentants d'une Kabylie “pacifiée”. La mobilisation tous azimuts des sportifs à des fins étrangères à leur cause était parfaitement illustrée par une banderole tendue sur les gradins du stade Zabana, théâtres des affrontements de ce week-end : “Le MCO et l'AS Radieuse soutiennent Moumen Khalifa”, pouvait-on y lire. Et on expliquera ensuite que des adolescents de ce quartier d'Oran sont au fait des pérégrinations politiciennes qui se nouent et se dénouent à l'Assemblée nationale française ! La pratique de pouvoir qui a ôté tout lien entre la réussite et le mérite fait de tout Algérien un mauvais perdant. Chacun a, en effet, le contre-exemple, qui établit l'absurdité de son échec : un plus médiocre que lui qui a “réussi”. Pourquoi pas lui alors ? C'est ce qui fonde la logique de la violence de frustration qui s'est généralisée à toute la société. Si au lieu de s'attaquer à la source du mal, le pouvoir, lui-même brutal, s'emploie à instrumentaliser la violence sociale, bientôt tout se réglera par des explications physiques. La violence n'est plus un phénomène : c'est un trait de société et une méthode d'Etat. M. H.