Dans cet entretien, Mouloud Hedir estime qu'il faut prendre la mesure de l'ampleur de la crise économique qui va, selon lui, au-delà d'une conjoncture pétrolière mondiale. Liberté : Le gouvernement s'attelle à introduire la licence d'importation, une des formules retenues, en vue de faire baisser les importations. Pouvez-vous nous expliquer ce procédé ? Et aura-t-il, selon vous, de l'impact sur les importations ? Mouloud Hedir : Les licences d'importation sont des autorisations qui peuvent être exigées par l'administration. Les importateurs doivent se les faire délivrer préalablement à une opération d'importation d'une marchandise quelconque. Une licence peut avoir un aspect automatique, c'est-à-dire fournie sur simple demande, ou soumise à une forme quelconque de restriction, suivant les objectifs que leur assigne l'administration chargée de les délivrer. Les objectifs liés à l'introduction de ces autorisations vont de la simple collation de statistiques à l'administration de normes techniques ou de sécurité, de restrictions commerciales, jusqu'aux limitations pouvant être dictées par des problèmes relatifs à la balance des paiements. Elles peuvent s'appliquer à des catégories d'importateurs comme à des marchandises particulières. Elles peuvent être occasionnelles ou permanentes, d'une durée plus ou moins longue, généralement une année. Le champ d'application des licences est extrêmement large. Il s'applique déjà chez nous à beaucoup de produits particuliers, comme les médicaments ou les produits chimiques dangereux, comme pour le bénéfice des exonérations prévues aux accords commerciaux comme l'accord d'association ou la zone arabe de libre-échange. Quant à apprécier l'impact éventuel de ce régime de licences annoncé, il faudra attendre que la réglementation nous précise son champ d'intervention et les modalités pratiques de son application sur le terrain.
L'état envisage également de surtaxer certains produits en provenance de pays avec lesquels l'Algérie n'est pas liée par des accords de libre-échange. Cela est-il faisable ? En théorie, rien n'empêche effectivement de pratiquer des taux de droits différenciés pour l'entrée de produits originaires de chacun des pays avec lesquels l'Algérie n'a signé aucun accord préférentiel. Dans la pratique, une telle option n'est absolument pas à recommander, pour une double raison : d'une part, cela revient à déroger à la règle de la nation la plus favorisée, une règle d'or de non-discrimination entre partenaires que notre pays a observée scrupuleusement depuis 1962, même dans des circonstances ou des conjonctures beaucoup plus tendues et difficiles que celle que nous traversons aujourd'hui ; et d'autre part, cela reviendrait à conférer indirectement un avantage commercial supplémentaire à des pays qui disposent déjà d'un accès privilégié sur notre marché. Plutôt que de s'aventurer sur des terrains aussi dangereux, il faut d'abord rappeler que tous les accords commerciaux préférentiels autorisent des restrictions dictées par les difficultés de balance des paiements. Commençons déjà par les utiliser. Si maintenant le gouvernement estime qu'un accord commercial particulier ne répond pas aux intérêts économiques de notre pays, il serait plus approprié de le renégocier ou même, au besoin, de le remettre en cause purement et simplement. Mais tout cela passe par une évaluation objective préalable, une argumentation sans faille et un débat de fond. Pour le cas de l'accord d'association avec l'Union européenne, une telle évaluation n'a jamais été faite, même là où elle était rendue nécessaire par le texte même de l'accord. La seule évaluation officielle qui n'ait jamais été faite de cet accord l'a été par les soins de l'Union européenne, jamais par une institution algérienne.
Comment peut-on réduire, selon vous, les importations et préserver la devise du pays ? Une loi de finances complémentaire prise en août 2009 avait déjà inauguré dans la précipitation toute une série de mesures visant à réduire les importations. Résultat : celles-ci sont passées depuis de 40 à 60 milliards de dollars. Il faudrait commencer par tirer les leçons de cet échec. Pour ma part, j'ai trois choses à dire : en premier lieu, la politique du commerce extérieur ne peut pas se résumer à des mesures administratives de restriction temporaire ou permanente des importations, c'est avant tout un instrument qui doit être mis au service du développement économique et social du pays. Je regrette de le dire aussi crûment, mais la politique commerciale extérieure de l'Algérie n'existe pas ou, à tout le moins, elle est illisible et indéchiffrable pour nos partenaires étrangers, comme pour nos propres entreprises. Les contradictions sont partout béantes, qu'il s'agisse du lien entre commerce et investissement, du décalage entre notre position face aux accords commerciaux préférentiels et notre démission totale face à une organisation multilatérale comme l'OMC, de notre gestion absurde du commerce des services, de notre inconséquence face aux économies de notre voisinage immédiat, au Maghreb comme au Sahel, etc. Partout où nous aurions dû rechercher des synergies, nous nous heurtons à nos propres incohérences. En second lieu, nous devrions prendre la mesure exacte de la crise économique qui frappe notre pays et qui, à mon sens, va beaucoup plus loin que la conjoncture actuelle du marché pétrolier mondial. Notre véritable crise, c'est l'absence totale de perspectives en termes de diversification de notre économie. Même quand notre Premier ministre déclare ouvertement que le pétrole est appelé à se tarir à l'horizon 2030, c'est-à-dire demain, cela ne suscite aucune réaction concrète de tous ces "décideurs" qui gouvernent aux destinées de notre pays. Notre pays s'invente des lobbies factices d'importateurs pour masquer une incapacité crasse à promouvoir la production locale. L'acte de production comme l'acte d'investir sont gangrenés par la bureaucratie. Les surcoûts de la gestion de nos ports se chiffrent en milliards de dollars annuellement. Nos achats de céréales ont dépassé 3,5 milliards de dollars en 2014, sans que cela fasse tiquer personne. Personne ne semble même capable de lever le petit doigt pour mettre fin à cette gabegie financière et ce scandale absolu du prix subventionné du carburant. Face à des tares visibles à l'œil nu, nous organisons des "séminaires", alors que la menace commande d'agir. Dans ce contexte de lâcheté généralisée, on comprend que personne ne veuille voir la crise violente qui nous frappe. Enfin, la gravité de la situation où se trouve notre économie n'interroge pas la seule responsabilité du gouvernement. C'est du destin proche de tous les citoyens qu'il s'agit et de notre avenir en tant que nation. Alors, plutôt que de pinailler sur la énième mesure de réduction des importations, les Algériens devraient plutôt se réveiller et prendre conscience de l'impasse économique totale dans laquelle ils se sont enfoncés et de la bourrasque sociale et politique qui les attend au cours des prochaines années.