Résumé : Malgré son insistance, Mordjana n'ira pas au lycée. Sa mère avait fort à faire avec quinze enfants sur les bras, et elle devait la seconder. Il avait fallu une ligature des trompes pour que sa mère arrête d'enfanter. Pourtant, elle aurait encore voulu avoir d'autres enfants... Mordjana tente de la raisonner... En vain... La jeune fille tente de se justifier : -Mais maman je... -Arrête tes balivernes, et viens plutôt m'aider à carder la laine... Dix années passent. Les enfants grandirent. Les grands garçons quittèrent le foyer pour étudier dans une grande ville ou effectuer le service national. Mordjana, elle, se morfondait dans son quotidien morose. Elle passait le peu de temps libre dont elle disposait à regarder des feuilletons à la télé ou à écrire. Malgré l'interruption de ses études, elle n'avait pas cessé de se cultiver. Une voisine lui passait de temps à autre des revues ou quelques livres. Souvent par économie, elle allumait une chandelle et passait une bonne partie de la nuit à lire. L'envie d'écrire lui est venue plus tard. Cela avait commencé par son cahier journal... Elle y rapportait tous les événements quotidiens et notait ses propres commentaires. Puis à chaque fin de mois, elle relisait le chapitre mensuel avant de le clôturer et de lui attribuer une note. Ainsi donc, à chaque fin d'année, elle se constituait un agenda, qui lui permettait de retrouver toutes ses notes et de les relire en cas de nécessité. Ce moyen, précaire et fort utile, lui permettait d'être à jour et de n'omettre aucun événement ou activité. Comme elle y consignait aussi les dates de naissance de ses frères et sœurs, ainsi que leurs succès scolaires, elle pouvait de temps à autre leur "marquer un point" en organisant leurs anniversaires ou en leur offrant un petit cadeau d'encouragement. Elle confectionnait des blouses pour ses sœurs, tricotait des pulls pour ses frères, ou préparait, lorsque cela lui était possible, les plats dont ils raffolaient. Les enfants finirent par s'habituer à ses petites attentions. Le temps passait, et ils se rapprochaient davantage d'elle que de leur mère... Mordjana était pour eux la maman, la sœur, la confidente, et celle qui savait les consoler et panser leurs maux, lorsqu'ils avaient de petits chagrins. C'était elle aussi qui les orientait dans leurs études, et les veillait quand ils étaient malades. On l'appelait la petite maman, et elle-même se savait plus qu'indispensable auprès d'eux. Un coup de klaxon la tire de ses méditations. Elle entendit des youyous puis des voix d'hommes. Maroua, sa sœur qui était déjà mariée et mère de deux enfants, vint la retrouver. -Mordjana... Ils sont là... Prépare-toi à nous quitter ma chère sœur... Maroua pleurait ouvertement... Mordjana la serre dans ses bras. -Pourquoi ces larmes Maroua ? Moi je n'ai pas pleuré à ton mariage... Maroua se détendit et s'essuie les yeux : -Tu vas nous manquer Mordjana... Tu vas nous manquer bien plus que tu ne le penses... Certes j'ai quitté la maison bien avant toi, mais nous savons tous que sans ta présence dans cette maison, nous sommes perdus... -Allons donc Maroua... Je ne vais pas quitter le pays... Je vais habiter peut-être au nord, mais je reviendrai souvent vous rendre visite... Et vous aussi, vous allez venir chez moi... Maroua baisse les yeux : -Heu... Je... je ne connais pas encore ton mari... Mais... Le mien n'est pas un ange... Je me suis trop précipitée dans l'aventure du mariage, et le résultat est désastreux... Je ne sais pas si un jour je pourrais m'adapter à cette vie de forçat que je mène. Mordjana, qui était au courant des déboires de sa cadette, lui entoure les épaules. -Tu reconnais donc que tu t'es précipitée dans cette aventure... -Oui... J'étais tout juste une adolescente lorsque j'ai uni mon destin à Djamel... Et maintenant, avec deux enfants sur les bras, je me rends compte que le mariage n'est pas du tout ce que je pensais... -Tu pensais que c'était comme dans les films à l'eau de rose... N'est-ce pas Maroua ? -C'est ça... Je croyais aussi qu'en quittant le toit familial et ses aléas, je serais bien plus heureuse... Mordjana la serre dans ses bras : -Je ne sais quoi te dire, petite sœur. Je voudrais te voir plus comblée dans ton ménage... Ne baisse jamais les bras... Seule la patience arrive à bout de toutes les contraintes de ce monde. Elle passe un mouchoir sur ses yeux et poursuit : -Et surtout, Maroua, ne t'amuse pas à faire autant d'enfants que maman... Tu seras enchaînée à jamais dans ton malheur... -Je n'aimerais aucunement avoir d'autres enfants... Mes deux petits me suffisent... Je n'aimerais pas qu'ils souffrent autant que nous d'un manque d'affection maternelle... Quand nous étions petits, c'était toujours toi qui nous prenait sous ton aile protectrice... Mère avait toujours était occupée par ses grossesses et ses accouchements... à suivre Y. H.