Pour Ahmed Betatache, secrétaire national aux droits de l'Homme, “Le droit à la vie n'est même pas garanti et des dizaines de milliers de personnes sont toujours portées disparues”. Aux antipodes du discours officiel, le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed établit un constat sans complaisance de la situation des droits de l'homme en Algérie. Une situation qualifiée, à juste titre d'ailleurs, de “dramatique”. Lors d'une conférence-débat, organisée jeudi 9 décembre à la Maison des jeunes de Bouzaréah, à Alger, à l'occasion du 56e anniversaire de la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, Ali Laskri, premier secrétaire du parti, Ahmed Betatache, secrétaire national aux droits de l'Homme, Salah Eddine Sidhoum, militant des droits de l'Homme et Me Mustapha Bouchachi, membre de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH) et avocat à la cour, ont, à l'unanimité, épinglé le régime accusé de “violations graves des droits de l'homme”. “La situation est dramatique. Le droit à la vie n'est même pas garanti et des dizaines de milliers de personnes sont toujours portées disparues”, a affirmé Ahmed Betatache dans son allocution d'ouverture. Selon lui, le discours développé par les autorités sur les droits de l'homme n'est qu'une simple profession de foi. “C'est écrit noir sur blanc”, a-t-il résumé devant une salle ou figuraient notamment les familles des disparus, des acteurs de la société civile et du staff du FFS à l'image de Djeddaï et de Bouhadef. D'où le devoir, à ses yeux, qui incombe aux “décideurs”, qualificatif souvent usité par le FFS pour désigner les vrais détenteurs du pouvoir en Algérie, de “prendre en charge le dossier des disparus sans lequel il n'y aura ni paix, ni réconciliation, ni amnistie”. De son côté, Ali Laskri soutient que “depuis l'indépendance, le régime a choisi la répression comme mode de gouvernance”. Une répression qui continue à s'abattre sur de jeunes manifestants, sur les syndicats autonomes et sur les journalistes, a-t-il fait observer. Mais c'est essentiellement sur l'absence de légitimité des institutions que le premier secrétaire du FFS a préféré axer son intervention. “Un régime qui jouit de la légitimité, a-t-il poursuivi, n'a pas besoin de recourir à la pression et à l'emprisonnement des journalistes”. “On a des institutions factices”, a-t-il estimé. Comme de coutume, il n'omet pas de rappeler que le maintien de l'état d'urgence ne vise rien de plus qu'à “restreindre les libertés”. Autre question évoquée par l'orateur, loin de susciter l'adhésion du plus vieux parti de l'opposition, celle lancée en novembre dernier par le président Abdelaziz Bouteflika : l'amnistie générale. Ce concept, aux contours flous a priori, vise aux yeux de Laskri à “absoudre les commanditaires et les responsables des crimes économiques et politiques”. “Nous dénonçons cette démarche”, a-t-il dit. Et si réconciliation il y a, a t-il ajouté, celle-ci doit se faire entre l'Etat et le peuple à travers l'ouverture du champ politique et médiatique. Réputé pour son combat de longue date en faveur des droits de l'homme, Salah Eddine Sidhoum, libéré en octobre 2003, après des démêlés avec la justice algérienne qui l'avait condamné par contumace en 1997 par une parodie de “procès” après qu'il eut vécu pendant 9 ans dans la clandestinité, n'a pas mis de gants pour sa part pour fustiger le régime. Après avoir rappelé la genèse de la tragédie qui a suivi “la grossière manipulation d'Octobre 88 et qui a échappé à ses manipulateurs”, le chirurgien a estimé qu'un plan global d'action a été mis en place après 92 par le régime pour se restructurer après que le peuple l'eut mis à la retraite. Il a soutenu que “tous les bords de la tragédie doivent reconnaître leurs fautes et demander des excuses au peuple algérien”. Dans ce contexte, il a préconisé la mise en place d'une commission “justice et vérité”. À l'endroit de l'institution militaire, il a expliqué “qu'il est temps qu'elle fasse son mea culpa et qu'elle reconnaisse qu'elle a été entraînée dans une sale besogne”. “Il faut que le pouvoir et les putschistes sachent que les manœuvres sont inutiles”, a-t-il dit non sans faire le parallèle avec le sort qui a été réservé aux généraux en Argentine et au Chili. De fil en aiguille, Sidhoum rejette l'amnistie qui vise selon lui “l'amnésie et l'impunité”. De son côté, Me Bouchachi a indiqué “qu'il y a de graves violations des droits de l'homme”. Les disparus, les journalistes, les manifestants, les clandestins sont autant de victimes des violations, a-t-il rappelé. Selon lui “il ne saurait y avoir de droit sans régime démocratique et une justice indépendante”. Enfin, il a plaidé pour la vulgarisation des droits de l'homme, un rôle qui échoit à ses yeux aux associations et aux partis politiques. K. K.