Mohia était la rigueur personnifiée. Il était sans concession tant dans sa vie quotidienne que dans sa poésie, son théâtre, son enseignement ou ses relations. Dur avec lui-même, il l'était parfois avec les autres aussi. Il ne supportait pas l'hypocrisie. Le “forgeron de mots” qu'il était, n'acceptait pas les paroles truquées, celles qui n'étaient pas à leur place ou qui étaient déviées de leur sens. En mathématicien pratique, il ne supportait pas que l'on privilégie l'accessoire pour délaisser l'essentiel. C'est ce Mohia qui refusait de réduire la berbérité à la seule exhibition du signe Z de amazigh ou du seul salut par le mot azul. Pour lui, la berbérité est un art de vivre selon un certain nombre de valeurs. Comme il faisait une lucide distinction entre valeurs et traditions, entre militantisme et manipulation, il réagissait de manière parfois violente contre toute forme de suivisme irréfléchi. Ce qui déroutait beaucoup de nos militants berbéristes exaltés. En fait, toute la vie et l'œuvre de Mohia ont consisté à démystifier et à démythifier. À un jeune venu lui dire qu'il était prêt à mourir pour tamazight, Mohia répond :“Tu seras un Homme quand tu sauras vivre pour tamazight.” Un soir, en rentrant chez lui, il voit un livre dans une poubelle, il le ramasse, car la place du livre n'est pas dans une poubelle. C'était un livre de Platon. C'est ainsi que Mohia découvre une œuvre sur laquelle il travaillera le reste de sa vie. Il constitue un atelier de jeunes et moins jeunes auxquels il ouvre la voie vers cette fabuleuse source du savoir. Il me confia un jour que les philosophes grecs ont tout dit. Pour comprendre le monde, il nous suffit donc de revisiter ces œuvres anciennes. C'était bien après qu'il eut fait parler en kabyle Jean-Paul Sartre, Brecht, Lu Xun, Samuel Beckett et bien d'autres encore. Le génie de Mohia est de nous amener à oublier que ses œuvres sont des adaptations. Sous sa plume, elles passent allègrement pour des œuvres kabyles authentiques. Parfois même, on se laisse aller jusqu'à croire que leurs auteurs nous ont spoliés de nos œuvres comme cela se fait encore, aujourd'hui, pour les peintures rupestres de notre Tassili. Aujourd'hui on te pleure, mais je sais que tu ne seras fier de nous que le jour où nous saurons distinguer l'essentiel de l'accessoire. Et en attendant, repose en paix Mohia ! Paris, le 11 décembre 2004 B. M.