On ne le répètera jamais assez : faute de prévenir la course à l'argent facile, celle-ci finira par anéantir le pays tout entier. Quel est le remède ? Fraîchement élu à la tête du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, l'invité de Liberté, Lotfi Benbahmed n'y est pas allé, hier, par trente-six chemins pour fustiger d'abord l'attitude des pouvoirs publics quant à l'avant-projet de loi sanitaire. Le texte de loi initial avait déjà été amendé, rappelle-t-il, à quatre reprises, et ce, depuis sa promulgation, il y a trente ans. Il ne manquera pas de rappeler à cet égard le contexte dans lequel est intervenue cette loi "à l'ère du socialisme, de la gratuité des soins et du monopole de l'Etat". D'où, selon lui, la nécessité de lever, aujourd'hui, certaines "incohérences et dispositions inadaptées" afin d'harmoniser les différentes mesures. En rappelant d'emblée, les missions dévolues à "l'Ordre des pharmaciens qui n'est ni une association ni un syndicat, mais une institution créée par la loi", Benbahmed soulignera le rôle consultatif qui lui est reconnu en matière légale et réglementaire. "En vertu de la loi, nous devons donner notre avis", insiste-t-il, notant avec satisfaction la tenue en avril et juin 2014 d'"une large concertation" à travers l'organisation des assises régionales et nationales autour de la proposition d'un avant-projet de loi, rendu public dès le mois d'août 2014. Pour donner une consistance à cette consultation, il avait été décidé la création d'un comité de liaison et de réflexion sur la pharmacie et le médicament, et ce, eu égard aux multiples enjeux de santé publique et de la complexité du secteur pharmaceutique. "Il s'en est suivi un document consensuel avec des propositions susceptibles d'être retenues par les autorités". Cela dit, les rédacteurs de l'avant-projet de loi "ont repris, selon lui, plusieurs propositions d'amendement des Assises nationales, mais les notions relatives aux pratiques professionnelles n'ont pas été assujetties aux principes et pratiques universelles de qualification et de bonnes pratiques, qui sont consacrées, par ailleurs, dans le corpus de la loi". En effet, l'omission par les rédacteurs de la notion de sanction disciplinaire en réponse à la faute professionnelle continue à renvoyer systématiquement, de fait, le praticien aux dispositions pénales et cela même en l'absence de... dommages causés. Pour le président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, ce n'est ni plus ni moins qu'"une aberration, voire une régression majeure" pour l'organisation de notre système de santé. "Nous espérions sincèrement que ces Assises constituent un point de départ pour mettre en place une politique de santé avec une qualité universelle, nous sommes bel et bien obligés aujourd'hui de parler de recul." Benbahmed, qui soupçonne ainsi une volonté de réduire le rôle des ordres d'une manière générale en Algérie, égrènera quelques chiffres de son secteur comme l'estimation du marché du médicament en valeur, soit 3 milliards de dollars : 2 milliards à l'importation et seulement 1 milliard de dollars pour la production nationale. En volume, le rapport s'inverse. Sur presque 700 millions de boîtes, 300 millions proviennent de l'importation et 400 millions de la production nationale. Cela signifie, d'après lui, que notre production nationale est basée sur d'anciennes molécules et par conséquent les moins chères. "On n'est toujours pas dans les biotechnologies", regrette-t-il. Pourtant, ce sont près de 80 unités de production qui sont en exploitation en Algérie avec 70 autres unités projetées ou en cours de réalisation. S'agissant des grossistes-répartiteurs, leur nombre s'élève à 150 qui activent réellement alors qu'il y en a eu 600 agréés. Et d'en appeler précisément au rôle de régulateur de l'Etat. Quant au nombre d'officines, le Conseil de l'Ordre en dénombre 9 000 dont 976 appartiennent à l'Endimed, une entreprise publique, un vestige de la gestion centralisée qu'il demande aujourd'hui de privatiser, sans aucune forme de procès. Et pour cause, sa motivation principale a trait à une mise en conformité avec la loi car il s'agit, d'après lui, d'"un exercice illégal de la pharmacie" passible du code pénal. Ainsi, le rôle de santé publique dans des contrées isolées ou déshéritées qu'on assigne à ces officines étatiques ne tient pas, selon lui, la route. "En matière de répartition géographique, la réglementation n'est pas respectée." Il indiquera, à ce sujet, qu'il a été édicté une norme internationale recommandée par l'OMS et appliquée à travers le monde entier à savoir la couverture sanitaire d'un pharmacien pour 5 000 habitants. Et de révéler que la commune de Kouba à Alger détient le record national d'une pharmacie pour 900 âmes. Benbahmed parle de "dérive" qu'il convient de contenir car "la concurrence commerciale" ne peut caractériser son activité. Il évoque même "un vide réglementaire" exploité aujourd'hui par de nombreux spéculateurs comme les nouvelles boutiques de produits de phytothérapie, assimilés communément aux herboristes traditionnels. À leur encontre, il compte déposer une plainte au nom du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens pour exercice illégal de la pharmacie. "Les produits de phytothérapie sont des produits pharmaceutiques. Il s'agit souvent de substances actives dont sont extraites précisément des molécules pour fabriquer des produits pharmaceutiques. Il regrette que ces ‘charlatans' qui pullulent, affichent, au vu et au su de tout le monde, ‘des produits miracles' contre le cancer et autres diabètes." On apprendra ainsi qu'une mixture d'oligoéléments et de vitamines est cédée à 45 000 dinars, et ce, pour soi-disant favoriser la fertilité. Une consœur révélera à son tour que le "traitement" anticancéreux coûterait 100 000 dinars (!). C'est pourquoi Benbahmed a décidé de sévir. Un autre argument - et non des moindres - qu'il brandit pour mettre de l'ordre dans l'Ordre. "L'insertion professionnelle" des pharmaciens diplômés. S'il estime l'ensemble des pharmaciens exerçant en Algérie à 13 000, il s'inquiète aussi du sort des nouveaux diplômés. Il s'interrogera alors sur l'opportunité d'un "numerus clausus" qui puisse répondre réellement aux besoins du secteur "de 4 facultés de pharmacie, nous sommes à 11 aujourd'hui", précise-t-il, relevant au passage que nous disposons de la plus ancienne faculté de pharmacie d'Afrique créée dès le XIXe siècle. Cela pour l'anecdote car les problèmes dans ce domaine sont plutôt légion. En professionnel averti, Benbahmed saisira cette occasion du Forum de Liberté pour souligner les nombreux écueils qu'il rencontre dans son activité. En plus de pratiquer, dit-il, l'une des marges bénéficiaires les plus faibles du monde, notre invité déplorera surtout l'absence de procédures transparentes, le retard dans la validation des programmes d'importation sans compter le retard dans la mise en place de "l'agence du médicament", une arlésienne toute algérienne. M.-C. L.