L'Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Chine et Russie) ont conclu, jeudi soir, un accord-cadre sur le nucléaire, qui inaugure une nouvelle ère dans les relations entre Téhéran et les grandes puissances. La signature de ce document intervient dans un contexte explosif au Proche-Orient, où Téhéran compte jouer pleinement son rôle, voire étendre davantage son influence. Mais cela n'aurait pas été possible si Téhéran n'avait pas consenti de nouvelles concessions, en échange de réels engagements de la part des puissances occidentales à lever les sanctions diplomatiques et économiques sur l'Iran. Pour certains analystes, l'accord de jeudi confirme le rapprochement irano-américain qui a commencé au lendemain de l'accession au pouvoir, en septembre 2013, de l'actuel président iranien, Hassan Rohani. L'échange téléphonique entre le président américain Barack Obama et Hassan Rohani a, à cette occasion, accéléré le dégel des relations irano-américaines, mettant fin à trois décennies de rapports diplomatiques conflictuels entre Washington et Téhéran. Autre signe du changement de cap des Etats-Unis, l'envoi dans l'émirat d'Oman, par la Maison-Blanche, de ses diplomates pour négocier secrètement avec leurs homologues iraniens. Alors que les négociations sur le dossier du nucléaire étaient en cours, la Maison-Blanche a donné son aval à une entreprise américaine pour la signature d'un accord d'investissement préliminaire avec Téhéran dans le secteur de l'énergie. World Eco Energy a obtenu un marché de réalisation d'une centrale de production de l'électricité, à base de recyclage des ordures, pour un montant de 1,2 milliard de dollars. Conditionné par l'obtention d'un accord final entre les 5+1 et l'Iran, le démarrage des travaux est programmé pour septembre prochain. "Les Iraniens sont contraints de s'entendre avec les Etats-Unis, notamment pour mettre fin aux sanctions économiques", affirmait Ardavan Amir-Aslani dans son livre paru en 2013, sous le thème : "Iran - Etats-Unis, les amis de demain ou l'après-Ahmadinejad". Les Iraniens comptent, en effet, "retrouver leur place dans le concert des Nations", comme l'explique ce spécialiste en géopolitique et du Proche-Orient. L'accord de Lausanne constitue une brèche pour que l'Iran redevienne cet acteur "normal" pour le règlement des crises, en cours au Proche-Orient. Les puissances occidentales reconnaissent, à demi-mot, le rôle-clé de Téhéran dans la résolution de la guerre civile en Syrie et au Yémen. Avec l'émergence de l'Organisation de l'Etat islamique (OEI), il était plus que nécessaire d'accélérer le processus de négociation sur le dossier du nucléaire iranien. Sans l'Iran, qui soutient le régime de Bachar al-Assad à Damas et les Houthis à Sanaâ, il sera difficile d'envisager une solution politique à ces crises. Le régime des Gardiens de la Révolution peut servir de médiateur entre l'Occident, qui soutient l'opposition syrienne, et le président syrien Bachar al-Assad. Téhéran a gagné en influence dans ces pays, tout comme il a gagné du terrain au Bahreïn et en Irak où les milices chiites se battent, côte à côte, avec des milices sunnites à Tikrit et dans d'autres villes irakiennes contre l'OEI. Cette nouvelle alliance qui se dessine entre Téhéran et Washington n'est pas seulement liée aux crises politiques et armées qui secouent cette région. Les Etats-Unis ont, eux aussi, besoin de s'entendre avec l'Iran. Une normalisation des relations entre ces deux pays se fait en perspective de transformer l'Iran en une zone de confluences entre la mer Caspienne, la mer Noire, la Méditerranée, le golfe Persique et l'océan Indien. D'aucuns n'ignorent pas que la Caspienne renferme un important gisement d'or noir et de gaz, qui suscite la convoitise des puissances économiques. Bien que les Etats-Unis se montrent prudents dans leur rapprochement avec l'Iran, ils sont conscients qu'une normalisation des relations avec Téhéran est inéluctable, pour contrer la Chine et la Russie, ainsi que l'émergence de la Turquie. Membre de l'Alliance atlantique, Ankara veut se placer aussi comme un partenaire incontournable sur l'échiquier régional et freiner l'élan d'un Iran qui s'est montré capable d'avancer sur un terrain auparavant occupé par ses rivaux saoudiens et qataris dans la péninsule arabique. Même s'il se montre menaçant à l'égard d'Israël, le protégé des Etats-Unis au Proche-Orient, l'Iran a fini par convaincre. Et ce n'est qu'un début. L. M.