La secrétaire générale du Parti des travailleurs dénonce la volonté de l'Etat algérien de placer le pays sous la tutelle conjuguée des Etats-Unis et des multinationales. Entretien. Liberté : Huit mois après l'élection présidentielle, la tension sociale et économique est toujours grande alors que, paradoxalement, le champ politique semble marquer le pas Louisa Hanoune : Le PT n'a, au contraire, jamais en autant d'activités il a multiplié et intensifié les initiatives, en défense de la République une et indivisible, contre les privatisations, la déréglementation et la régionalisation. Nous aidons à la mobilisation contre l'orientation annoncée qui est diamétralement opposée aussi bien aux aspirations des Algériennes et des Algériens qui se sont exprimés le 8 avril qu'aux engagements pris par le chef de l'Etat. La loi de finances tourne le dos à ces aspirations et consacre les recettes énormes du pays aux pseudo-investisseurs, notamment étrangers, au détriment d'un véritable plan de relance de l'économie nationale. Nous avons constaté que le plan promis par le président de la République ne figure étrangement pas dans cette loi de finances, et que le Chef du gouvernement, en annonçant la privatisation de toutes les entreprises, renie ses engagements d'il y a un an, au lendemain du séisme du 21 mai 2003 ; l'amélioration des conditions de vie par l'augmentation des salaires est opposée à une fin de non- recevoir alors qu'elle est la condition pour la relance de la consommation, de la production et, par ricochet, pour une vraie croissance. Nous avons constaté une loi de finances d'austérité drastique alors que nous possédons des moyens d'entreprendre des dépenses au service de la production, du progrès. Les réformes sont en réalité des contre-réformes, une opération de bradage et de pillage de notre patrimoine industriel, de nos terres, une remise en cause de la nationalisation puisque le pays est mis à la disposition des multinationales à travers l'Accord d'association avec l'Union européenne (UE) qui prépare l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Et le gouvernement fait dans un excès de zèle sans précédent et dans la politique du fait accompli qui s'accompagne de menaces sur le droit de grève. Dans le même temps, et sur le terrain des libertés, alors que les procès n'en finissent pas, des journalistes sont emprisonnés, des syndicalistes harcelés pour avoir respecté leur mandat en s'opposant aux privatisations. Une récession des acquis en somme ? Absolument. Il fallait organiser, juste après le 8 avril, un vrai débat par le biais des médias lourds — qui touchent tous les citoyens — pour tirer les enseignements politiques et afin de permettre à la société de s'exprimer sur les solutions, dire ses préoccupations. Le gouvernement assène que ses orientations découlent du programme du président de la République, c'est faux ! À aucun moment il n'a été dit aux Algériens que des entreprises seraient fermées, que des travailleurs seraient licenciés, que le logement social ne serait plus disponible, que l'argent du pétrole serait détourné de nos besoins. Bien au contraire, on leur a promis la paix, la dignité, un million de logements, deux millions d'emploi, la prospérité… Vous n'avez pas cette impression de confusion au sein du gouvernement : des ministres qui ne sont plus d'accord entre eux, un chef de l'Exécutif qui ne s'entend plus avec le président de la République…? Bien sûr que si. Nous avons même eu la preuve de cela. Par exemple à propos des allocations familiales dont le ministre des Finances voulait décharger l'Etat pour accabler les entreprises, et de la taxe sur les médicaments, objet de désaccords ; un ministre des Finances qui soutient le FMI contre la décision du gouvernement de mettre l'argent des entreprises publiques dans les banques publiques. Une série d'autres questions résume cette confusion. Les 50 milliards de dollars du plan de relance économique annoncé par le Président n'existent pas. Il y a simplement un budget d'équipements normal, annuel, avec en prime une loi de finances étalée sur cinq ans. C'est à croire qu'il y a une volonté de ligoter tout investissement public durant tout le mandat. Nous savons que M. Benachenhou, comme il le reconnaît lui-même, agit en tant qu'expert mais nous ne pensions pas que notre pays avait déjà rejoint le lot des pays africains où les postes-clés dans le gouvernement sont détenus par des hommes désignés par la Banque mondiale et le FMI. C'est pourquoi nous disons qu'il s'agit d'une question de sauvegarde nationale. Comment expliquer que le 1er Novembre, jour de commémoration du déclenchement de la lutte armée pour la réappropriation de la souveraineté et des richesses nationales, M. Ouyahia annonce la privatisation de 1 200 entreprises ? En réalité l'ensemble des entreprises est concerné puisque le projet de loi sur les hydrocarbures est remis sur la table, que Sonelgaz est filialisée au même titre que la SNTF et que le ministre des Finances agit comme un chef d'Etat. Je ne crois pas que les responsables ignorent que le démantèlement de ce qui constitue les bases matérielles de la nation, qui fondent son unité, à savoir les entreprises et services publics, peut conduire à la dislocation du tissu social et national. Pourquoi s'orienter vers cela d'autant que nous sommes dans une aisance financière exceptionnelle ? Dans le fond, vous êtes en train d'expliquer, d'analyser la démarche et l'action d'un Président en poste depuis 1999 et réélu en avril dernier avec plus de 80% des suffrages... Pour son premier mandat, étant donné les circonstances qui ont entouré le scrutin, la position du Président pouvait être fragile. Encore que, s'il y avait des entraves, il devrait en informer les Algériens. Aujourd'hui, le peuple ayant démontré sa capacité de résister, de se mobiliser, il n'a plus aucune excuse. Il doit user de ses prérogatives pour répondre positivement aux attentes des Algériennes et des Algériens sur le terrain démocratique et social, des mesures hardies s'imposent. Car, si la violence a diminué, la paix n'est pour autant pas rétablie. La régression sociale et le banditisme se sont nettement accrus… Vous aviez affirmé : “On ne peut parler d'amnistie générale avec une politique économique pareille.” Que voulez-vous signifier ? Notre raisonnement est le suivant : pour parler d'amnistie générale, il faut d'abord rétablir la paix. Il faut donc s'attaquer aux origines du terrorisme, assainir le climat politique. La misère et la pauvreté sont le vivier de la violence. On ne peut pas tout mettre sur le compte du terrorisme. Le premier mandat de M. Bouteflika s'est achevé tant bien que mal, mais avec une crise majeure qui a pris la forme d'affrontements au sein du FLN, de pourrissement en Kabylie, des interventions américaines directes, avant et durant la campagne, avec, pour moyens de chantage, tous les dossiers en suspens. Le peuple algérien, avec ses deux composantes linguistiques, a éloigné le spectre de la guerre civile mais, aujourd'hui, se met en place un processus qui vise à faire disparaître l'Etat algérien, à détruire ses missions sociales et économiques, ses missions de contrôle et de régulation. Avec les augmentations de prix des produits de consommation courante, qui atteignent parfois les 500%, l'accélération de la décomposition est assurée. Avec les privatisations, personne ne pourra arrêter les licenciements. Personne n'a pu empêcher Henkel de supprimer 50% des postes de travail. Malgré cela, le gouvernement lui a offert les parts de l'Enad. Quant à Ispat, qui vient de fusionner avec une multinationale américaine, elle pratique l'exploitation sauvage. Et à travers les délocalisations en France, la fermeture des entreprises et les plans de licenciement, il est apparu que les acteurs politiques ne peuvent rien faire dès lors que c'est le marché qui décide sous le couvert de compétitivité. De plus, c'est la désertification industrielle qui se prépare pour plusieurs secteurs d'activité et, en réalité, c'est le foncier qui intéresse les acquéreurs et non l'activité. À l'aube de ce deuxième mandat, l'orientation qui se met en place est angoissante. Elle tire vers l'arrière. Cette voie est suicidaire. La réconciliation, c'est résoudre la crise politique, répondre aux familles des disparus. L'Etat doit faire la lumière sur ces dossiers, reconnaître sa responsabilité, dire la vérité et demander pardon. Et réparer politiquement et matériellement en réhabilitant les victimes de la tragédie et en prenant en charge leur famille. Nous sommes contre toute forme d'ingérence étrangère dans cette affaire. Notre pays était en guerre. Il y a eu des disparitions et des victimes des deux côtés. Ce n'était pas des enlèvements en temps de paix. Tout le monde a besoin de panser ses plaies. Il est urgent de fermer cette porte d'autant que le dossier est utilisé comme un moyen de chantage et de pression extérieure. Les solutions doivent être algériennes. Mais dans la même logique, peut-on accepter que soient appliquées dans notre pays des politiques dictées par le FMI, la Banque mondiale, l'OMC, l'UE et les multinationales ? Peut-on parler de réconciliation avec une politique économique qui menace les travailleurs et leur famille de déchéance sociale qui interdit aux jeunes, y compris les diplômés universitaires, l'accès à un vrai emploi ? Vous aviez aussi exprimé des craintes à propos de la démocratie politique ? Oui, nous pensons qu'elle est en danger. Le respect du mandat et des engagements est, à tous les niveaux d'éligibilité, un fondement sacré de la démocratie. Or il y a rupture entre les promesses électorales du Président et l'orientation économique du gouvernement. Le respect du mandat suppose également que les institutions élues puissent jouer leur rôle, qu'elles aient la primauté par rapport à l'Exécutif, que la justice soit indépendante. Or la démarche actuelle tend vers le totalitarisme, dont le pacte social prôné par le gouvernement est un instrument. On parle actuellement du code de la famille, des droits de la femme. N'y a-t-il pas un lien de cause à effet entre le traitement scandaleux par la justice du crime dont ont été victimes les 39 femmes de Hassi Messaoud et les tergiversations autour du code de la famille ? D'ailleurs, lors du débat organisé à l'APN autour de la convention de l'ONU pour l'élimination de toute forme de discrimination à l'encontre des femmes, il a été démontré la contradiction flagrante entre le code, d'un côté, et la Constitution algérienne et les traités internationaux ratifiés par l'Algérie, de l'autre. Selon le PT, l'UGTA fait face à une offensive visant à rendre les travailleurs impuissants. La centrale a-t-elle jamais joué son rôle d'organisation syndicale ? L'UGTA est en quelque sorte le ciment de l'unité de la nation dans la mesure où elle rassemble les travailleurs arabophones et berbérophones qui l'utilisent pour se défendre et revendiquer. La question ne se pose pas en termes de politique de la direction, mais en termes de cadre d'organisation, c'est pour cela que nous la défendons bec et ongles. En plus des conséquences des privatisations, des licenciements et de l'emploi précaire sur le nombre de syndiqués et les caisses des travailleurs, il y a une sorte d'opération politique qui consiste à vouloir disloquer l'UGTA de l'intérieur. Il y a des courants politiques qui veulent la paralysie par le sommet et d'autres tentent de provoquer une hémorragie par la base en appelant les travailleurs à rejoindre les syndicats autonomes, et donc à se disperser. Et, en définitive, les deux s'emploient à favoriser les privatisations et faciliter aux multinationales l'accès à notre patrimoine industriel, à nos richesses et à l'exclusivité du marché algérien. Alors, clamer que cette politique de la terre brûlée est irréversible, c'est en toute connaissance de cause signer l'arrêt de mort de notre pays. Si nous tirons très fort la sonnette d'alarme, c'est en constatant le désengagement total de l'Etat de la sphère économique et social qui aiguise des convoitises étrangères et locales sur une ligne de bradage et de pillage, et met à l'ordre du jour, dans notre pays, une situation à l'ivoirienne dans la mesure où c'est une politique similaire qui a provoqué le chaos en Côte-d'Ivoire, une fois son Etat fragilisé, car dépossédé de ses prérogatives de ses puissances publiques. Pour notre part, nous sommes convaincus que le peuple algérien, pour l'avoir démontré le 8 avril, a une capacité de se dresser en défense de la nation contre les politiques étrangères qui menacent son intégrité. Pour notre survie à tous, les responsables du pays doivent lui faire confiance. L. B.