Le chef spirituel de la tariqa Alawiya évoquera longuement ses efforts, notamment son déplacement à l'ONU pour promouvoir et faire partager sa philosophie du vivre ensemble. L'invité du Forum de Liberté d'hier, Cheikh Khaled Bentounès, a capté l'attention de tous les présents dans la salle. Ses réflexions, appuyées par un humour (parfois surprenant) et ses analyses, étaient percutantes. Le guide spirituel de la tariqa Al-Alawiya voulait, avant tout, "vendre" sa demande adressée en mars dernier à l'ONU pour décréter une "journée mondiale du vivre-ensemble". D'emblée, il l'annonce en demandant aux présents, surtout aux journalistes, de l'aider "à répandre ce message et de lui donner une portée à la fois individuelle et collective". Il ne s'appuiera ni sur un discours religieux ni n'utilisera une quelconque langue de bois. Cheikh Bentounès y est allé de sa verve pour défendre un projet auquel il semble tenir avec insistance. "C'est une initiative qui est née dans notre pays, à Oran, lors du Congrès féminin international qui s'est déroulé du 28 octobre au 1er novembre 2014", précise-t-il. Il fera la genèse de son périple onusien et le travail de lobbying effectué sur place auprès des représentants de plusieurs pays. Le chantre de la paix a tenu à préciser que "c'est la première fois qu'une initiative de la société civile d'un pays arabe, musulman et africain, propose quelque chose à l'ONU et cela a étonné plus d'un pays". Dans son travail de lobbying, Cheikh Khaled Bentounès annoncera que plusieurs pays cautionnaient la création de cette "journée mondiale du vivre ensemble", en citant le Chili, le Sénégal, le Mali, le Bénin, le Congo "et j'ai été reçu également par le conseiller d'Obama aux affaires musulmanes", indiquera-t-il sans donner plus de détails. Concernant la position de l'Algérie, il se contentera d'affirmer qu'il a été "très bien reçu par notre ambassadeur à l'ONU". Ne se voulant pas naïf, il avouera que "c'est un long travail qui demande beaucoup d'efforts et surtout une grande conviction intérieure" pour espérer mettre une culture de la paix dans le monde. Il s'appuiera sur les chiffres pour argumenter "avec du concret" en revenant sur la situation sur le plan international. "La violence coûte au monde plus de 9,47 trilliards (1 trilliard = 1000 milliards de milliards, ndlr) de dollars, c'est-à-dire 44 fois le PIB d'un pays comme l'Algérie", indiquera-t-il tout en ajoutant : "C'est le prix de la violence en 2014 !" Face à cette situation Cheikh Bentounès propose de dépasser les slogans. "Les Etats et les multinationales regardent avant tout leurs intérêts", rappelle-t-il. La solution, selon lui, qui reste encore au stade des "espérances", est de "prouver que cette culture de la paix peut être plus rentable". Les espoirs mis dans cette journée mondiale en gestation dépassent, selon le guide spirituel de la tariqa Al-Alawiya, le stade des coulisses onusiennes. Cheikh Khaled Bentounès se veut avant tout un maillon d'une chaîne qui ira vers l'annulation des pouvoirs pyramidaux. Il dira ainsi que "si nous devons arriver à cette culture de la paix ; il faudra changer nos habitudes dans les systèmes qui gèrent la terre". Pour contrecarrer la loi pyramidale des pouvoirs, dont l'essence est que "pour arriver en haut je dois forcément écraser quelqu'un", Cheikh Bentounès propose une autre forme géométrique, le cercle "qui représente un ensemble de points, le premier est au même stade que le dernier, et le centre est à égale distance du droit et de la dignité". Avec au bout l'objectif d'arriver à "enseigner la paix pour gérer les conflits d'une façon autre que la guerre". Une métaphore qu'un soufi ne reniera pas. "Nos imams sont ce qu'on a voulu qu'ils soient" L'actualité et le fameux dialogue des religions étaient également au menu de la conférence-débat d'hier. L'occasion pour Cheikh Bentounès de donner sa "vision" de l'image de l'islam dans le monde. Il égratignera au passage l'influence des idéologies wahhabite et salafiste. Il rappellera que "l'université de Médine produit 45 000 imams pour 110 pays. Alors imaginez à combien de personnes ils s'adressent dans leur prêches wahhabite et salafiste !". Le conférencier n'a d'ailleurs pas voulu vilipender les "diplômés" de cette université. Il se contentera d'un constat : "Nos imams sont ce qu'on a voulu qu'ils soient." Il n'omettra pas de mentionner le pouvoir de l'argent. "Les grands centres culturels dans le monde sont financés par la Rabita (La Ligue islamique mondiale, ndlr)", dit-il. Cette déferlante salafisto-wahhabite et ses relais financiers étant des réalités palpables, où sont donc les personnes qui peuvent s'y opposer ? À cette question, Cheikh Bentounès a donné une réponse ressemblant presque à une "capitulation". Se érudits se retrouvent dans une situation sans issue. "S'ils vont à contre-courant, ils risquent leur vie." Cette retenue de leur part "laisse le champ libre aux autres", lancera-t-il presque avec dépit. Toutefois, se voulant un optimiste invétéré, il veut continuer son "combat" tout en précisant : "Je ne suis pas un messie." Devant les messages de haine et de violence des intégristes, il indiquera que la charia n'est pas la loi. "Ce n'est pas vrai. C'est plutôt la voie, celle qui mène à la source" avant de s'étaler : "Elle a été donnée pour spiritualiser nos sens, pour que les aspects d'adoration deviennent qualitatifs et non pour agresser l'autre avec : ‘Mon dieu est mieux que le tien. Moi je détiens la vérité et toi tu es dans l'erreur'". La tolérance et la spiritualité ont été souvent citées dans l'intervention du guide spirituel de la tariqa Al-Alawiya. Il en profitera pour revenir à l'histoire et "démystifier" les termes "Occident" et "Orient", en dépassant les religions et en axant sur l'"unicité". L'exemple qu'il citera remonte à l'époque helléniste, exactement au deuxième siècle avant notre ère. "Alexandrie a été la capitale de Ptolémée, elle était considérée comme la capitale de l'Occident et pourtant elle se trouve bien en Egypte non !" "Arkoun, mon ami" Questionné par un des présents sur le défunt Mohamed Arkoun et sa fameuse "histoire" avec Al-Ghazali lors d'un séminaire sur la pensée islamique à Béjaïa, Cheikh Bentounès n'a pas voulu entretenir une polémique avec la fille de l'auteur de Humanisme et Islam. L'invité du Forum de Liberté se posera une question : "En quoi dérangeait-il ? Pourtant, il est bien indiqué dans le Coran qu'il n'y a nulle contrainte en matière de religion." Au passage, le guide soufi ne cachera pas sa "désolation" en lançant avec une pointe de dépit : "Ce qui me navre, c'est qu'il n'est même pas enterré dans son pays..." S. K. @SalimKoudil