Les symboles de la Révolution doivent être protégés. Avisez-vous de faire un commentaire sur le carriérisme des adhérents du FLN, sur l'insatiabilité des membres de l'ONM ou sur la boulimie de “la famille révolutionnaire” et vous aurez la preuve de cette intacte vigilance révolutionnaire. Pourtant, les tares qui viennent d'être évoquées sont bien actuelles et ne renvoient en rien à une époque accomplie et à une morale disparue. Mais cela n'empêchera pas les opportunistes de tout poil de vous infliger leurs plus sévères représailles, histoire de défendre leur prébende, sous prétexte de veiller sur l'image de l'œuvre de libération nationale. Un type d'Algériens se permet ainsi d'être à la fois détenteur d'une identité politique, le FLN, qui renvoie au projet libérateur de 1954 tout en étant membre d'un parti politique en compétition permanente avec le pouvoir, le FLN. Il faut une dose d'impudence pour prétendre défendre le sigle sacré en l'impliquant dans des batailles politiques qui opposent des Algériens supposés avoir un culte partagé pour les symboles de leur Histoire. Le risque encouru est déjà grand dans l'hypothèse même d'une vie publique saine. Mais il se trouve qu'on a fait pire : on l'a impliqué dans des putschs politiques et dans des coups d'Etat internes parfois “scientifiques” et des coups de force de brutes. Comment peut-on faire respecter une représentation, si reconnue soit-elle, quand on se l'approprie, l'instrumentalise et se la dispute de manière si vulgaire ? Hier, responsables organiques, députés et ministres de l'ordinaire parti qui porte la prestigieuse abréviation FLN se sont associés à une bagarre où la violence verbale le disputait — si l'on peut dire — à la violence physique. Y a-t-il plus humiliant pour un sigle que de voir l'élite de ses affiliés, et surtout bénéficiaires, transformer leur rassemblement en échauffourée ? Le débat et la tâche laissaient allègrement place à l'invective et à la bousculade, sans que les illustres dépositaires des valeurs de novembre se souciassent de l'honneur des trois lettres. Il s'agit de les accaparer, pas de les honorer. Ceci est urgent et vital ; cela peut attendre les occasions propices à la langue de bois. D'ailleurs, la culture de la manœuvre propre au parti unique avait depuis longtemps déteint sur ses organisations de masse, si bien qu'elle a fini par altérer l'ensemble de la vie publique nationale. Les symboles de lutte post-indépendance n'échappent point au mouvement général d'instrumentalisation de l'histoire et de ses martyrs. Ceux qui ont du pouvoir n'y voient que la fonction alimentaire qu'ils peuvent en tirer. Notre mémoire entière est un cadavre encerclé. Ce n'est pas la légitimité révolutionnaire qu'il faut bannir, comme le suggérait Bouteflika. La légitimité, le peuple s'est déjà chargé de sa préservation. Il reste juste à mettre la Révolution — et la démocratie, mais cela est une autre histoire — à l'abri des spéculateurs. M. H.