Je viens ici ni pour blesser ni pour m'excuser (…). Les Algériens ont beaucoup souffert. Je respecte cette souffrance. Mais il y a aussi beaucoup de souffrance de l'autre côté, et il faut la respecter. Je ne mets pas l'une sur un piédestal et l'autre en dessous. Je les regarde toutes les deux et je dis c'est l'histoire, c'est le passé. » A froid, ces propos de Nicolas Sarkozy, prononcés devant le président Bouteflika à la résidence d'Etat de Zéralda et devant une nuée de reporters, font encore très mal en Algérie. Bien que Bouteflika se soit retenu de commenter ces déclarations qualifiées à la fois de nihilistes et d'arrogantes de son hôte, sa mine renfrognée trahissait une gêne manifeste. Sarkozy a sans doute mis les pieds dans le plat… En témoigne cette réaction, certes tardive, mais ô combien officielle, de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM). En effet, dans un long communiqué sanctionnant la réunion de son secrétariat national, cette organisation très proche des hautes sphères rejette globalement et dans le détail l'offre de partenariat du président français si elle n'est pas sous-tendue par une reconnaissance claire des crimes coloniaux assortie d'un pardon officiel en bonne et due forme. La sortie médiatique de l'ONM se décline en effet comme une mise au point au président français mais aussi une ligne rouge que les autorités algériennes ne sauraient dépasser. « (…) L'ONM rappelle plus que jamais que seul un pardon au peuple algérien est de nature à permettre de tourner la tragique page du passé pour entrevoir une coopération saine pour le bien des deux peuples. » Le communiqué de l'organisation de Saïd Abadou, qui sonne comme une réponse officielle de la République algérienne, souligne que les propos de Sarkozy transparaissent « l'ignorance de la sensibilité des Algériens et surtout celle de la génération de novembre qui sait les sacrifices consentis durant cette sombre période ». Et d'asséner cette sentence politique : « Il est illusoire de croire à un partenariat constructif entre les deux pays qui se construirait sur la négation des faits historiques. » Lame de fond L'organisation des moudjahidine en veut d'autant plus que la France réclame des autorités turques qu'elles demandent pardon au peuple arménien, au nom des droits de l'homme, pour un prétendu massacre que ce pays aurait commis durant le Seconde Guerre mondiale. Et à l'ONM de s'interroger, ironiquement, si le massacre d'Algériens ne serait pas une atteinte aux droits de l'homme. En conclusion, cette puissante structure de la famille révolutionnaire fait savoir au président Sarkozy que le partenariat d'exception entre la France et l'Algérie passe inévitablement par « un devoir de mémoire qui libérerait la France de son passé colonial ». L'ONM garde tout de même la porte entrouverte en laissant entendre que l'Algérie, qui détient des atouts majeurs, reste un pays pivot dans la région du Maghreb qui « ne peut être ignoré dans n'importe quelle initiative politique et économique », dans une allusion au projet d'union méditerranéenne dont Sarkozy n'a pas dessiné les contours. Il est, en tout état de cause, certain que la réaction de l'ONM est loin d'être un acte politique isolé. Le fait qu'elle intervienne quinze jours après la visite éclair de Sarkozy dénote que le texte est « bien préparé » et qu'il a sans doute obtenu le visa du palais d'El Mouradia. La tonalité du communiqué tranche beaucoup avec le discours langue de bois connu de la famille révolutionnaire mais aussi des réactions de dépit saupoudrées d'incantations. Le document de l'ONM se veut une réplique méthodique et « consensuelle » à la provocation de Sarkozy. L'organisation apparaît avoir servi de simple courroie de transmission d'une réponse sèche qui traduirait une tendance lourde au sein de l'Etat algérien ébranlé par les propos de Sarkozy. Cela rappelle étrangement la même organisation de la riposte algérienne à la loi du 23 février 2003 quand Abdelaziz Belkhadem, alors patron du FLN, fut chargé de sonner le clairon avant que le président Bouteflika ne porte l'estocade lors de son fameux discours à Batna. Rien ne dit que le communiqué de l'ONM ne soit pas un prélude à des réactions indignées en cascade prochainement. Le président de la République aura après coup tout le loisir de traduire politiquement la colère citoyenne et institutionnelle pour en faire un motif imparable face à l'implacable position de Sarkozy. Pour cause, le ministre des Moudjahidine, qui n'est autre que l'ancien président de l'ONM, Mohamed Cherif Abbas, s'est écrié, il y a une semaine, contre les autorités françaises qui refusent, d'après lui, de rendre les archives de la révolution à l'Algérie. « L'Algérie les réclame sans cesse, alors que les Français sont peu disposés à les rendre, d'autant qu'elles révèlent les crimes perpétrés contre le peuple algérien et battent en brèche l'idée des prétendues vertus civilisatrices de la colonisation française », avait-il déclaré dans une conférence de presse en marge des festivités commémoratives du 45e anniversaire de l'indépendance. Aussi, le chef de la diplomatie algérienne, Mourad Medelci, a mis lundi un sérieux bémol à la proposition de Sarkozy de créer l'union méditerranéenne. S'il trouve l'idée « intéressante et constructive », il pense tout de même qu'il faut y aller avec « pragmatisme ». Mais il attend toujours qu'un contenu soit donné à cette initiative. C'est dire que ces petites phrases et ces nuances sémantiques sont peut-être annonciatrices d'un avenir en pointillé entre l'Algérie et la France version Sarkozy.