L'Algérie et ses voisins, marocain et tunisien, vont lancer une campagne sur l'égalité dans l'héritage. Nadia Aït Zaï, juriste et directrice du Centre d'information et de documentation sur les droits de l'enfant et de la femme (Ciddef), s'exprime dans cet entretien sur le projet en question et revisite, au passage, le code de la famille, notamment ses aspects inégalitaires qui retardent la construction des relations hommes-femmes. Liberté : Dans le mouvement associatif, le Ciddef s'est distingué sur la question de l'égalité dans les successions. Pourquoi cet intérêt ? Nadia Aït-Zaï : Cette question va dans le sens de notre principal objectif, celui d'œuvrer à l'effectivité de l'égalité, une valeur universelle consacrée par la Constitution algérienne. L'Etat s'est engagé à lever tous les obstacles qui entravent l'épanouissement de la personne humaine, particulièrement ceux liés à l'exercice des droits de la femme. Cela a été conforté et renforcé par la criminalisation de la discrimination définie par le code pénal le 14 février 2014. Pour que cela ne reste pas qu'un énoncé de bonnes intentions, nous entreprenons des actions de plaidoyer pour consacrer l'égalité dans les faits. Lorsqu'on examine la construction des relations hommes-femmes dans le code de la famille, celles-ci sont inégalitaires à bien des égards, dans le mariage, le divorce, la filiation, les effets du divorce et les successions. Le législateur n'a pas tranché vraiment pour des relations égalitaires entre les membres d'une même famille et entre les époux. Même si les amendements de 2005 ont consacré l'égalité, dans certains articles concernant l'âge au mariage et la gestion du ménage, la hiérarchisation des sexes demeure, hélas, le socle de la construction des rapports dans la famille. Néanmoins, pour les biens acquis pendant le mariage, le législateur a introduit une disposition dans le code de la famille visant à corriger des injustices que vit l'épouse, dans le partage du patrimoine, au décès de son époux ou en cas de divorce. Selon l'article 37, ce patrimoine pourra être partagé comme l'entendent les époux, dans l'acte de mariage ou par acte authentique ultérieur. Ceci est important, car ce que nous avons mis en évidence en parlant de l'égalité dans l'héritage, c'est la contribution des femmes, de leur apport économique à la construction du patrimoine familial. Avez-vous été approchée par des familles ou des personnes pour régler des problèmes d'héritage ? Au centre d'écoute du Ciddef, toute personne peut venir pour un conseil, une orientation ou un accompagnement juridique. C'est lors de ces rencontres et visites que les problèmes de succession se sont posées ; les héritiers sont surpris de découvrir l'inégalité dans les parts qui reviennent à la veuve, au fils, à la fille. Ils affichent une incompréhension de ce partage inégal, en ayant intégré dans leur conscience que les règles de l'héritage sont intouchables. Les cas reçus résident dans la difficulté à liquider une succession ou dans la rapidité à le faire, lorsqu'il n'y a pas d'enfant ou lorsque les héritiers sont des femmes : la veuve et ses filles. Une veuve sans enfant hérite du quart de ce que laissera son défunt mari, alors que le mari hérite de la moitié de ce que l'épouse laissera en l'absence d'enfant. Vous remarquerez que les parts sont inégales. Lorsqu'il n'y a que la veuve et les filles, un aceb accompagnera les héritières dans le partage du patrimoine et c'est ce qui étonne les intéressés. Le dernier cas que nous avons reçu est celui d'une veuve avec ses 3 filles, qui découvre qu'elle recevra un 1/8 de la succession, que ses filles auront les deux tiers et le reste est attribué au aceb qui, dans ce cas, est la sœur du défunt. Donc, l'épouse recevra les 3/24 de ce qu'il y a à partager, les filles les 16/24, et la sœur (aceb) du défunt les 5/24. L'épouse ayant contribué à la construction de ce patrimoine, avec l'apport de son argent, aura moins que la sœur aceb, qui a fait sa vie par ailleurs, avec un mari et des enfants. C'est une injustice flagrante, sans compter sur le principe inégal qui est celui de donner une double part au garçon et une part à la fille, dans ce qu'aura laissé le père défunt. Très souvent, ce sont les filles qui nous consultent, car ce sont elles qui ont acheté l'appartement familial ou contribué à le faire du vivant du père. Elles se retrouveront à la rue avec leur mère, car cet unique bien à partager, devenu litigieux, est vendu malgré leur refus. Le Ciddef a initié, en 2010, un plaidoyer pour l'égalité en héritage. Cinq ans après, où en êtes-vous ? Nous avons effectivement initié le plaidoyer pour l'égalité dans l'héritage, qui fait son bout de chemin comme le plaidoyer pour la participation politique des femmes, lequel a mis 10 ans pour aboutir. Chaque année, le Ciddef organise des rencontres avec des spécialistes de la question, des théologiens, le mouvement associatif, les élus, pour faire avancer l'idée qu'il est possible de consacrer l'égalité dans l'héritage. La réaction à ce plaidoyer n'a pas été violente, beaucoup de personnes se sont exprimées sur la question à travers les réseaux sociaux. Evidemment, il y a eu des pour et des contre, il y en aura encore. En revanche, une majorité silencieuse est d'accord avec notre plaidoyer, elle ne l'exprimera qu'en aparté, mais son soutien nous est acquis. Mieux, elle utilisera les subterfuges juridiques que le code de la famille a prévus, la donation, le habous, le legs ou carrément la vente de leur bien à leurs filles. Côté pouvoirs publics, nous n'avons pas enregistré de réaction, mais nous savons que nous avons des alliés sur cette question. Cette année, vous participez à une campagne sur les droits des femmes dans les successions, à l'échelle de la région du Maghreb. Un mot sur cette action ? La campagne pour l'égalité dans l'héritage a été nationale pour chacun des 3 pays composant le collectif Maghreb égalité : Algérie, Maroc et Tunisie. Nous avons l'habitude de travailler en région, car notre action est plus payante lorsque nous unissons nos efforts. La confection du plaidoyer maghrébin pour l'égalité dans l'héritage est en cours, il sera prêt fin 2015. Nous devons trouver les référents communs : les argumentations de droit international et de droit national, les arguments religieux, les arguments sociologiques et particulièrement économiques, vont fonder l'argument maghrébin. Avez-vous approfondi la réflexion sur les principes susceptibles de rétablir l'égalité dans l'héritage ? Nous sommes en train de travailler sur la question religieuse et, particulièrement, sur les 3 principes utilisés pour écarter une règle de droit injuste et discriminatoire : la maslaha, c'est-à-dire l'utilité publique, la dharoura ou nécessité et les maquassid, qui sont les finalités de la loi. Nous travaillons avec les spécialistes de la question religieuse, des fouqahas de l'islam, qui ont répondu à notre demande et qui nous accompagne dans la réflexion sur l'égalité en héritage. Leur réflexion les a menés à utiliser ces 3 principes pour démontrer que le partage égal entre l'homme et la femme est possible. Le philosophe tunisien Mohamed Talbi, ayant écrit le plaidoyer pour un islam moderne, estime que le problème de l'héritage "n'est pas totalement insoluble", qu'il est possible, en plaidant pour "un consensus" pour trouver une solution juridique conforme à l'islam. Il a mis en évidence les 3 principes de l'islam qui permettent de faire évoluer le droit et l'adapter à la réalité. M. Talbi est formel, en affirmant que ces instruments permettent de faire évoluer la loi en matière d'héritage, mais pour cela, la société doit s'y préparer. Nous pouvons affirmer que si la société algérienne est effectivement bien préparée, elle adhérera facilement au principe de partage égal de l'héritage et nous n'en voulons pour preuve que les résultats du sondage de 2008, entrepris par le Ciddef. Ce sondage a démontré le souhait de la société à une égalité dans l'héritage : la part des personnes disposées à épouser l'idée d'un partage égalitaire ont été de près de la moitié des adultes, et celle des adolescents de près des deux tiers. Il y a quelques mois, vous avez plaidé pour l'introduction rapide de modifications, citant le radd et l'aceb. Du nouveau à ce niveau ? Des modifications du code de la famille, dans le livre troisième portant les successions, peuvent être introduites, sans bouleverser la pyramide des héritiers et les parts prévues. Lorsqu'il n'y a que des héritières, la technique du radd doit leur être appliquée, c'est-à-dire leur restituer la part qui reste revenant aux aceb. Le code tunisien l'a fait, nous pouvons le faire aussi, car nous ne sommes plus dans la philosophie des premiers siècles de l'hégire, où la terre, seule patrimoine, devait rester dans la famille patriarcale, pour qu'un étranger ne l'hérite pas. L'exemple cité de l'épouse et de ses 3 filles, qui ont vu la tante paternelle hériter de la part la plus élevée, donne à réfléchir. Instituer le radd pour les filles seules héritières éviterait bien des dépenses fiscales supplémentaires, occasionnées par la donation ou la vente d'un appartement... Il faut aller plus loin, lorsqu'il y a un male héritier, il faut sortir du patrimoine le domicile conjugal, lorsque la veuve est encore vivante. Cela, en attendant que le frère, la sœur et leur maman aient la même part. H. A.