Boutaleb Kouider, économiste, explique dans cet entretien, qu'il y a urgence d'asseoir les équilibres macro-financiers hors fiscalité pétrolière. Et d'ajouter que la rupture avec l'économie rentière se matérialisera. Liberté : Un gouvernement remanié, non politique, a été installé, la semaine dernière. Il va s'atteler à un premier dossier de taille, celui du projet de loi de finances complémentaire 2015. S'agit-il, selon vous, d'un gouvernement de crise ? Boutaleb Kouider : Ce qu'on observe, aujourd'hui, comme dans tous les précédents remaniements, a quelque rares exceptions, c'est que le constat est le même : on reprend les mêmes et on recommence. On peut se demander de quel bilan peuvent se prévaloir ces personnages devenus inamovibles. S'il n'est pas ministre, il est conseiller à la présidence ... Tout cela, pour dire que la situation n'augure pas d'un changement de perspectives et de gouvernance, sans doute, moins encore. Dire qu'il s'agit d'un gouvernement de crise, il aurait fallu nommer des compétences reconnues avec une expérience de gestion éprouvée. Ces compétences existent, mais ne semblent certainement pas répondre aux critères occultes de nomination. Au delà de l'élaboration de lois de finances, en temps ordinaire et sans doute plus encore en période de crise, l'administration et la gestion des ressources publiques a besoin d'un gouvernement responsable, composé d'hommes et de femmes compétents, intègres, légitimes, ayant une préoccupation majeure, celle de la croissance et de l'équité...est-ce le cas ?
Quel est l'ordre des priorités aujourd'hui, alors que la crise pétrolière continue ? En période de crise, encore faut-il l'admettre, on recourt plus que d'ordinaire à la rationalisation des choix budgétaires. Le problème en Algérie ne relève certainement pas d'une problématique de hiérarchisation des priorités. Tous les secteurs de l'économie nationale sont concernés, notamment et sans doute plus particulièrement les secteurs productifs, industrie et agriculture. Si la production nationale n'arrive pas à satisfaire la demande nationale (en semis produits industriels, en pièces détachées, en produits alimentaires, en médicaments ...), comment peut-on compresser le volume des importations qui grève dangereusement les ressources en devises du pays provenant quasi exclusivement de la vente des hydrocarbures (capital non reproductible) compte tenu du volume dérisoire des recettes d'exportation. Il s'agit par conséquent de s'engager résolument dans des réformes permettant à terme d'asseoir les ressorts des équilibres macro-financiers hors fiscalité pétrolière. La période d'incubation des réformes peut être plus ou moins longue, mais la rupture avec l'économie de rente se réalisera. À titre d'indication il faudrait engager aujourd'hui et pas demain deux grandes réformes : celle de l'impôt et du régime des subventions. La révision de l'impôt permettra de remettre en cause les rentes de situations (antinomiques au fonctionnement d'une économie de marché) et serait d'un gain considérable pour le Trésor public. Il faut impérativement réformer sans tarder le régime de subventions généralisé, pour introduire des subventions intelligentes ciblant ceux qui en ont le plus besoin et venant en complément des filets de protection sociale existants. Le budget de l'Etat serait allégé du poids lourd des subventions non ciblées. La révision du régime des subventions peut produire des gains économiques et sociaux substantiels, les subventions encourageant la consommation et le gaspillage. Ces réformes ne peuvent cependant aboutir que si elles sont articulées à une refonte de la gouvernance qui demeure un impératif pour mettre en place et mener des politiques économiques ambitieuses. Les déficiences à corriger dans ce domaine sont patentes et très profondes comme cela est constamment relevé. Réduire aussi le train de vie de l'Etat, non seulement pour réduire l'énorme gaspillage financier mais aussi pour un effet de démonstration qui sera positivement apprécié par la population appelée à changer de comportement et accepter des réformes.
Et, comment voyez-vous l'évolution de l'économie nationale en situation de crise pétrolière ? La baisse des cours du pétrole depuis juin 2014 est source d'inquiétude pour l'avenir. Selon certaines estimations, le Fonds de régulation des recettes s'épuisera fin 2016 et les réserves de change horizon 2020, C'est le scénario de la crise vécue en 2006 qui se profile à l'horizon si des décisions courageuses ne sont pas prises incessamment. Ce n'est pas un remaniement du gouvernement qui résoudra le problème, mais c'est l'élaboration d'une stratégie consensuelle sur le devenir de l'économie nationale. L'équation est simple : comment réduire l'écart entre ces deux chiffres : plus de 60 milliards de dollars de dollars d'importation et environ 2 milliards de dollars pour les exportations. Exporter plus nécessite des réformes de fonds touchant la performance de notre système productif national. Réduire les importations certes, mais pas en dessous de l'incompressible, et certainement pas par des mesures administratives dans le cadre d'une économie ouverte. Par conséquent, en l'absence de réformes de fonds, l'avenir du pays semble être hypothéqué et ce n'est certainement pas les réserves en devises accumulés qui doivent faire illusion. Le temps des reconsidérations est compté, il faudrait absolument s'engager résolument sans tarder dans des réformes de fond pour faire face aux problématiques socioéconomiques qui ne pourront que s'exacerber dans le cadre du mode de fonctionnement actuel du système sociopolitique et traiter rationnellement la problématique centrale qui est celle de la construction d'une économie efficiente en termes d'emplois et de valeur ajoutée, une économie productrice de richesses. Y. S.