Selon sa défense, Moumen Khelifa a proposé de vendre Khalifa Airways pour recapitaliser Khalifa Bank, mais cette offre a été refusée. Khelifa a déclaré hier qu'il avait récusé la désignation de Mohamed Djellab en tant qu'administrateur provisoire de Khalifa Bank par la commission bancaire, du fait qu'il n'était pas porté, selon lui, sur la liste des personnes assermentées au ministère de la Justice. Ces révélations contredisent totalement les déclarations du gouverneur de la Banque d'Algérie, de l'administrateur provisoire de Khalifa Bank et celles des membres de la commission bancaire qui ont tous affirmé devant le tribunal criminel que les actionnaires de cette banque ont été sollicités pour un apport financier de l'ordre de 74 milliards de dinars nécessaires pour une recapitalisation, mais n'ont pas donné suite. Ces informations s'ajoutent aux nombreuses anomalies qui émaillent ce dossier. Comme le refus de reporter, à la demande de l'avocat de Moumen Khelifa, à l'époque Me Berghel, la réunion de la commission bancaire qui devait statuer sur le retrait de l'agrément de la banque, sous prétexte qu'il n'avait pas de procuration ou encore la disparition de la note du vice-gouverneur sur Khalifa Bank, du bureau de l'ex-ministre des Finances, Mourad Medelci. Le premier à passer à la barre en qualité de témoin est le secrétaire général du ministère des Finances, Abdelkrim Lakhal. Il a été interrogé sur le fameux rapport transmis par le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie, Ali Touati, au ministre des Finances, Mourad Medelci, le 18 décembre 2001, sur les irrégularités constatées par les inspecteurs de la Banque d'Algérie dans la gestion de Khalifa Bank. Mourad Meldeci, pour rappel, a considéré ce document comme une note d'information, n'ayant pas été accompagnée des PV de constatation d'infractions dument établis par des inspecteurs assermentés. Son successeur Mohamed Terbèche reçoit un appel téléphonique du cabinet de la chefferie du gouvernement lui demandant de réactiver ce rapport en 2002. Pourquoi cet intérêt des mois après ? Le SG du ministère des Finances n'apporte pas de réponse. Il reconnaît toutefois n'avoir pas trouvé de trace de ce rapport. Il a dû en demander une copie à la Banque d'Algérie. "Ma mission était d'analyser ce document et de faire une note à la chefferie du gouvernement. Ce rapport contenait des informations générales rédigées par des inspecteurs de la Banque d'Algérie non assermentés, sans PV de constatations d'infractions et donc il n'y avait pas de lien entre le rapport et l'objectif visé." Plus précisément, il soutient que les infractions aux règles de change n'étaient pas traduites selon les formes légales dans des PV. La Banque d'Algérie n'a pu normaliser la situation de ses inspecteurs qu'en 2003. Entre-temps, les contrôles à Khalifa Bank étaient assurés par l'Inspection générale des finances (IGF), nous apprend le témoin. Revenant au rapport en question, il déclare qu'il contenait 14 pages dont "une grande partie consacrée à Khalifa Bank et une autre à Khalifa Airways autour d'un contrat de 45 millions de dollars pour lequel une autorisation n'avait pas été accordée". La commission bancaire n'a reçu que 7 rapports sur 10 Le secrétaire général de la commission bancaire, Akhrouk Kamel, commence par expliquer le rôle de cette structure qui est le contrôle du respect du règlement prudentiel de la Banque d'Algérie et le respect de la loi sur la monnaie et le crédit. La justice reproche aux membres de la commission bancaire de ne pas avoir pris des mesures disciplinaires à l'encontre de Khalifa Bank en dépit de l'existence de 10 rapports émanant des inspecteurs de la Banque d'Algérie relevant de nombreuses irrégularités. "On le savait mais on a demandé plus d'investigations pour savoir ce qui se passait. En réalité, la commission bancaire a reçu 7 sur les 10 rapports. Nous n'avons pas été destinataires du premier rapport et il y en avait deux autres qui ne nous concernaient pas parce qu'ils parlaient de Khalifa Airways et de l'agence de Blida". Il ajoute : "Nous prenions nos décisions sur la base des informations fournies par les inspections et face à la multiplication des infractions dont les bilans arrivaient en retard et les comptes non certifiés, nous avons décidé d'intensifier les contrôles sur place à Khalifa Bank." Il déclare que la commission bancaire a déposé une plainte au parquet en 2004, endossant la responsabilité de la faillite de Khalifa aux commissaires aux comptes et aux membres du conseil d'administration. Question de l'avocat Benitaouine : "Sur quelle base la responsabilité des commissaires aux comptes a-t-elle été établie ?" Le témoin préfère laisser la réponse aux autres membres de la commission bancaire. Maâchou Benameur est magistrat à la Cour suprême, détaché d'abord de manière partielle et puis permanente à la commission bancaire, à la faveur d'une décision du ministre de la Justice. Il a occupé ce poste de 1991 jusqu'à l'année 2008. Il affirme que la banque Khalifa faisait des déclarations mensuelles en retard de manière répétitive, à tel point qu'elles perdaient "leur sens". Il a ajouté que Khalifa Bank faisait également de fausses déclarations. À la question de savoir pourquoi la commission bancaire n'a pas pris de mesures disciplinaires à l'encontre des auteurs de ces agissements, le témoin répond que jusqu'à 2002, les rapports d'inspection parvenaient à la commission bancaire en retard. Cette dernière n'a été destinataire de certaines informations qu'après la désignation de l'administrateur provisoire de Khalifa Bank, Mohamed Djellab. Sur ce registre, il précise : "La mission de Djellab était de remettre les choses en place. Ce n'était pas une sanction disciplinaire. Il devait se substituer au conseil d'administration en l'absence des dirigeants de Khalifa Bank. On ne pouvait pas limiter sa mission dans le temps, car on ne pouvait pas évaluer la situation de la banque qui était tellement confuse. La situation réelle est apparue avec la mention par l'administrateur des émeutes des déposants. À ce moment, la commission bancaire a compris que Khalifa Bank était en cessation de paiement. Ce fait s'est rajouté, bien entendu, à d'autres événements comme le ratio de solvabilité de 8% non respecté, des comptes sans justification, etc. Tout cela exigeait une recapitalisation avec le soutien actif des actionnaires." Le juge : "N'y avait-il pas d'autres solutions que l'apport des actionnaires ?"
L'Etat aurait libéré un crédit fautif Le magistrat Maâchou : "La solidarité de place fait que le gouverneur va demander à l'ensemble des établissements bancaires d'apporter leur soutien à une banque en détresse. Mais pour cela, il fallait exposer une situation transparente. Or, la réalité comptable et juridique de Khalifa Bank était complètement anti-réglementaire. Quel argument aurait présenté le gouverneur aux banques pour solliciter leur solidarité ?" Selon lui, si l'Etat avait accordé un crédit, cela aurait été un crédit fautif dans un contexte de situation non transparente de la banque. Il indique que la commission bancaire avait appuyé la décision de la direction des changes de procéder au gel des opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank de manière provisoire. Le magistrat Maâchou note qu'avant de procéder au retrait de l'agrément, l'acte de griefs de la commission bancaire a été notifié par un huissier de justice aux actionnaires de Khalifa Bank et donc ils ont eu tout le temps de préparer les arguments de leur défense. "Seuls les actionnaires Guelimi Omar et Abdelaziz Khelifa se sont présentés devant les membres de la commission bancaire. Me Berghel a demandé le report pour permettre à Moumen Khelifa de venir mais il n'avait pas de procuration pour parler en son nom. La commission bancaire a décidé que la banque devait entrer en liquidation. Décision publiée dans quatre grands journaux nationaux et donc considérée comme étant rendue publique." Le juge : "Y a-t-il eu un pourvoi en cassation contre cette décision ?". Il répond qu'un pourvoi en cassation a été formulé et rejeté par le Conseil d'Etat. Dans l'acte de griefs en questions beaucoup d'irrégularités ont été relevées. L'avocat de la partie civile veut savoir quel a été le poids des uns et des autres griefs dans la prise de décision de retrait d'agrément. Le témoin :"Tout a été pris en considération mais le déficit financier était un véritable tsunami." Le membre de la commission bancaire reproche aux commissaires aux comptes en exercice entre 1998 et 2000 d'avoir relevé certaines irrégularités dans la gestion de la banque Khalifa et pas d'autres. "Les rapports des commissaires aux comptes arrivaient à la commission bancaire en retard et parfois les comptes n'étaient certifiés que bien plus tard. Pour certains exercices, il y avait une prolongation pour la tenue des assemblées générales de la banque sans réaction de leur part." Khelifa Moumen se demande comment la commission bancaire a pu désigner un administrateur en la personne de Mohamed Djellab alors que, selon lui, il n'était pas porté sur la liste des personnes assermentées au ministère de la Justice. Le magistrat assimile cette question à "un procès d'intention contre sa personne faisant croire que l'administrateur a été désigné pour le détruire. Il fallait qu'il formule en son temps un pourvoi en cassation contre la désignation d'un administrateur provisoire". Maâchou précise que même si Mohamed Djellab n'est pas porté sur la liste des personnes assermentées au ministère de la Justice, ce fait ne change rien à la situation, puisqu'il n'a pas été désigné comme expert mais en tant qu'administrateur. L'audition des membres de la commission bancaire s'est poursuivie avec Benziar Brahim interrogé sur le besoin de cette structure d'appuyer la décision de la Banque d'Algérie de geler les opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank. "La commission bancaire s'est sentie un peu saisie et elle a confirmé la décision de la Banque d'Algérie." "N'est-ce pas pour conforter la décision de la Banque d'Algérie ?", questionne Me Lezzar. À croire le témoin, cette décision relève des compétences de la Banque d'Algérie. "Seulement, constatant l'emballement des transferts de fonds à l'étranger, personnellement, je me suis senti concerné." Un autre membre de la commission bancaire évoque trois hypothèses de recapitalisation des fonds de Khalifa Bank. La première consiste en la constitution d'un provisionnement de 30% des créances pondérées. Il en aurait résulté un déficit de -27,4 milliards de dinars, un ratio de solvabilité de moins de 12% impliquant une recapitalisation de 33,3 milliards de dinars. Deuxième hypothèse, provisionnement à 50% pour un déficit de moins de 38,4 milliards de dinars, ratio de solvabilité de moins de 14% et une recapitalisation de 44, 6 milliards de dinars et, enfin, un provisionnement à 100% pour un ratio de solvabilité de moins 26% impliquant une recapitalisation de 74 milliards de dinars. N.H.