“Divers témoignages confirment que des personnes victimes d'enlèvement sont encore dans des centres de détention.” Liberté : Plusieurs chiffres sont avancés depuis des années. Quel est, en fait, le nombre exact des cas de disparition ? Mme Fatima Yous : On ne peut pas avoir le chiffre exact. Il y a des dossiers de disparus qui atterrissent chaque jour sur le bureau de l'association. Récemment, j'ai reçu des gens de Jijel. Ceci dit, à notre niveau, nous avons enregistré 8 000 dossiers. Dernièrement, vous avez déclaré que parmi les disparus, il y a encore des vivants. Qu'est-ce qui vous amène à une telle affirmation ? Où se trouveraient-ils alors ? Il y a des vivants, c'est clair, j'en suis même certaine ! Il y a des gens qui les ont vus. Ce sont d'anciens prisonniers qui le confirment. Des personnes sont toujours détenues à Reggane et dans d'autres lieux de détention. Un père d'un disparu, apprenant récemment que son fils étant encore en vie, est parti à sa recherche ; il s'est déplacé jusqu'à Adrar. En arrivant sur les lieux, il apprend que les détenus ont été déplacés. Selon des informations que nous avons recueillies, il y a encore des centres de détention à Tamanrasset et In-Aménas. Avez-vous engagé des poursuites judiciaires contre ceux que vous désignez comme étant les auteurs de ces “disparitions forcées” ? Et combien de plaintes de parents de disparus avez-vous enregistrées ? Effectivement, des plaintes ont été déposées, mais nous n'avons pas le chiffre exact. Connaissez-vous l'identité des auteurs de ces enlèvements ? Les familles de disparus ont même leurs noms. On l'a dit à Me Ksentini. Nous avons 29 dossiers avec des témoignages. Et la plupart des dossiers sont accompagnés de déclarations de témoins portant le cachet officiel des APC. Me Ksentini affirme que la responsabilité dans les disparitions n'est pas celle de l'Etat… Ceux qui “cueillaient” des citoyens chez eux ou sur leur lieu de travail venaient au nom de l'Etat, et souvent ils venaient à bord de plusieurs voitures. Ils se présentaient même aux domiciles des victimes dans la journée au su et au vu de tout le monde. Que veut signifier alors la formule “l'état est responsable, mais pas coupable” ? êtes-vous associée aux travaux de la commission ad hoc mise en place par le président Abdelaziz Bouteflika ? Cela nous a été refusé, les responsables n'ont même pas accepté la présence d'un avocat ou d'un responsable de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'homme. Me Ksentini, qui a rejeté également l'observation d'une organisation internationale, a promis que le dossier des disparus est un problème national et que sa résolution doit être exclusivement dans le cadre algérien. Il n'a pas tenu ses engagements. Le président de la Commission consultative nationale pour la promotion et la protection des droits de l'Homme a déclaré dernièrement que vous n'êtes pas représentative des familles des disparus… S'il avait de l'audace, il m'aurait appelée pour une confrontation à la télévision. Et puis les dossiers parlent d'eux-mêmes. Comment évaluez-vous l'action du président de la République concernant le traitement de ce dossier ? Jusqu'à présent, M. Bouteflika n'a rien fait pour nous. Il nous a oubliés. Les familles des disparus lui ont fait confiance en votant pour lui. Il dit qu'il est solidaire avec nous, je voudrais bien le croire. Qu'il déclare alors qu'il est pour la libération des disparus vivants encore en détention ! Vous insistez beaucoup sur la libération des disparus. Avez-vous connaissance de leur nombre ? On ne sait pas. La libération des disparus vivants semble prendre le dessus au sein de votre association sur la vérité et les circonstances de la mort des autres disparus… Pour les morts, c'est aux parents d'en décider. Je ne vais pas leur imposer de prendre les indemnités ou de les refuser, de pardonner ou non. Une chose est sûre, il y a une procédure malsaine : des familles, qui sont dans le besoin, et qui étaient obligées de recourir à la pension de retraite de leurs disparus pour survivre, étaient amenées à retirer les actes de décès avec la promesse que la victime régularise la situation de son état civil dès sa réapparition. Le président de la République veut une amnistie générale. Quelle en est votre position ? L'amnistie est une bonne chose, mais si c'est pour pardonner aux criminels, non. Ils ont fait beaucoup de mal. Pardonner à tout le monde, c'est impossible. Les blessures des familles ne guériront jamais. K. D.