Ahmed Benbitour, désormais membre actif de la CNLTD, et Mourad Ouchichi, enseignant à Béjaïa, ont dépeint une situation critique marquée par une crise multidimensionnelle. "Chaque Algérien et Algérienne doit intérioriser les menaces qui pèsent sur l'Algérie. Le crépuscule de la rente et la prédation pointent à l'horizon." Economiste confirmé et ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, loin de jouer les Cassandre, soutient que l'Algérie doit se préparer à des lendemains difficiles, maintenant que les recettes du pays qui proviennent essentiellement de l'exportation des hydrocarbures s'amenuisent. Invité jeudi soir par la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH) dans le cadre d'une conférence sous le thème : "Impact des mesures de rigueur budgétaires sur les droits sociaux et économiques des Algériens", Ahmed Benbitour, désormais membre actif de la CNLTD, a dépeint une situation critique marquée par une crise multidimensionnelle. Développement de la corruption et la prébende, paupérisation et marginalisation des intellectuels et de la classe moyenne, développement de l'informel pour "compenser" l'économie formelle, faible productivité, crise identitaire, crise sécuritaire, crise sociale, fuite des cerveaux, entre autres, sont autant de marqueurs d'une crise que le régime a réussi à "masquer" de longues années durant, depuis 2002 notamment, par une aisance financière, observe-t-il. Pour lui, "il y a urgence pour la mise en place d'une transition démocratique". La voie du succès ? Faire un diagnostic exhaustif de la situation pour élaborer un contrat social. Et pour endiguer la crise, il préconise une recette : lancer un grand débat, avec tous les acteurs politiques et de la société civile, suivi de nombreux chantiers dont, entre autres, la mise en place d'institutions légitimes, l'adoption de la transparence, la création d'un institut de prospective, la décentralisation et un système judiciaire performant. "Pour un contrat social, il faut un processus de dialogue qui associe tout le monde", préconise Benbitour. "La sauvegarde de l'Algérie passe par le changement du système de gouvernance", conclut-il. Pour sa part, Mourad Ouchichi, enseignant en économie à l'université de Béjaïa, soutient que si "le régime ne libère pas l'économie, c'est parce qu'il a peur de perdre le contrôle de la société". Evoquant les différentes réformes et leur évolution depuis les années 1970, sous le régime du défunt Boumediene, Mourad Ouchichi observe que l'Algérie a renoué avec le populisme dès l'avènement du régime de Bouteflika et la hausse des prix des hydrocarbures. "Ce sont les mêmes responsables qui professaient l'économie administrée, qui ont accepté l'ajustement structurel, qui ont chanté que l'Algérie se porte bien, qui évoquent aujourd'hui l'austérité", observe-t-il. Loin de nourrir quelques illusions, encore moins de succomber à quelques optimistes présages, l'enseignant prédit à terme "une rupture entre pouvoir et société", "opposition des réseaux de captage de la rente à toute forme de changement" et "influence des fournisseurs traditionnels du pays dans l'orientation économique future". "En l'absence d'une société civile organisée et d'une opposition forte, l'on assistera à une exacerbation des luttes de clans, du discours religieux tandis que sur le plan économique, il y aura inévitablement une diminution du budget d'équipement, ce qui conduira à l'étouffement du reste du système productif public ; il y aura également le développement de la pauvreté, l'accentuation des inégalités sociales et le développement de l'informel et du système D avec leurs corollaires, le développement de la criminalité, de la délinquance et d'atteinte à l'environnement etc.", dit-il. "La combinaison de ces facteurs conduira à l'embrasement général, il suffira juste d'une étincelle. Il faut agir vite, si ce n'est déjà trop tard", prophétise-t-il. Selon lui, "seul un rapport de force de la société civile peut imposer le changement." N'y a-t-il pas risque de voir s'imposer un changement par le chaos ? "Le changement peut survenir de trois manières : soit le régime admet qu'il a échoué et décide de changer, ce qui, de mon point de vue, est exclu, soit il y a une négociation entre pouvoir et opposition. Mais dans la conjoncture actuelle, le changement risque de venir de la rue", redoute M. Benbitour. "Nous somme orphelins d'un Etat", renchérit de son côté M. Ouchichi. Mais, pour Me Benissad, quelle que soit la situation, l'Etat est tenu d'assurer les droits aux citoyens d'autant qu'il est signataire de conventions internationales. K.K.