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"Le report de la décision aggravera la situation financière du pays" M. Chérif Belmihoub, Professeur de management et économie institutionnelle à "Liberté", à propos de la suppression des subventions
Dans cet entretien, ce spécialiste mesure les conséquences du statu quo sur l'économie nationale et préconise une démarche pour une mise en œuvre plus efficace de la décision. Liberté : Comment voyez-vous l'évolution du système de subventions en Algérie ? Chérif Belmihoub : Les subventions ont toujours existé et dans pratiquement tous les pays. Ce qui est important, c'est de savoir à quelle finalité elles répondent et par rapport à quelle politique budgétaire elles sont articulées. Les subventions à destination des couches sociales à faible revenu viennent atténuer la défaillance du marché ou corriger les inégalités sociales. Le bien-fondé des subventions ne doit pas occulter les dysfonctionnements dans leur gestion et la question de leur durabilité (...) Tant que les ressources budgétaires le permettent, tout le monde trouve son compte : les pouvoirs publics pour avoir la paix sociale, les consommateurs pour améliorer leur pouvoir d'achat et d'autres pour transformer les subventions en surprofit. Dans ces conditions (politique budgétaire, incapacités de l'administrer à cibler les bénéficiaires...), le système de subvention est devenu une composante principale du budget de l'état, voire même un invariant. Il faut ajouter aussi les subventions implicites (non budgétisées), comme l'énergie, qui sont faramineuses en termes de manque à gagner pour les ressources budgétaires. Le ministère des Finances a donné des chiffres pour ces subventions en 2012 : 1975 mds de DA entre les carburants, le gaz et l'électricité. Alors subventionner des produits dont la consommation tend à augmenter plus que pour les autres produits engendre un processus continu de croissance du montant des subventions qui va devenir (à partir de 2017, toutes choses égales par ailleurs) intenable. Cette politique de subventionnement massif a été entretenue sur la période 2000-2012 par des niveaux de prix de pétrole en croissance (sauf le fléchissement de 2009) et donc des ressources budgétaires tirées de la fiscalité pétrolière assez conséquentes. Mais à partir de 2015, c'est le Fonds de régulation des recettes qui prend le relais, mais ses propres ressources provenant des excédents de recettes des hydrocarbures commencent à ne plus être renouvelées et donc on puise dans les réserves constituées au cours des années précédentes. Si rien n'est fait et si le prix du baril n'augmente pas, ces réserves s'épuiseront au bout de 3 ou 4 ans. Quel est le risque sur la situation économique du pays si on maintient le statu quo ? Le maintien du statu quo aura des conséquences extrêmement graves sur la situation économique et budgétaire du pays. Mais au-delà de leur volume et de leur caractère général et non ciblé, les subventions sont pour certaines (les plus importantes) antiéconomiques et antisociales, si l'on prend seulement deux paramètres : elles profitent aux économies des pays voisins grâce à la contrebande aux frontières, et profitent, au niveau national, aux plus aisés des ménages (énergie principalement). Globalement, l'évolution des volumes de subventions a été vertigineuse. Les subventions budgétisées sont passées de 254 mds de DA à 1863 mds de DA (multipliées par 7,5). Celles dites implicites ou indirectes sont à peu près du même ordre ; soit au total plus de 40 Mds de $, dont près de 30 Mds de $ financés par le budget de l'état. Comment faire face à une telle dépense si les prix du pétrole restent au niveau actuel (60 $ moyenne des 6 premiers mois 2015), c'est-à-dire des recettes fiscales amputées de près de 30% par rapport aux recettes de l'année 2014 ? * Au plan budgétaire, il faut trouver des sources de financement : à court et moyen termes, rien n'est possible. * Au plan économique, les comportements irrationnels des agents économiques vont se poursuivre en induisant des gaspillages de ressources et à les transférer hors frontières. * Au plan social : aggraver l'injustice sociale, en l'absence d'un système de ciblage des catégories de ménages vulnérables. * Au plan de la balance commerciale : comme les produits subventionnés sont dans une part importante importés (sucre, céréales, lait...), la balance commerciale va elle aussi connaître des déficits. Le lait et les céréales sont subventionnés à 216 mds de DA en 2012. Dans le scénario d'une réduction des subventions, que préconisez-vous pour éviter la colère de la rue ? Aujourd'hui, il n'est plus possible de continuer à reporter la décision d'une rationalisation de la dépense publique et particulièrement celle liée aux subventions ; tout report ne fait qu'aggraver la situation, et plus on reporte la décision, plus la difficulté augmente. Aujourd'hui, il y a encore une soupape constituée par le FRR qui peut être sollicité de manière parcimonieuse pour étaler sa contribution sur 3 ou 4 ans. Mais à condition de réduire de manière progressive mais significative les subventions budgétisées en ciblant les produits les moins sensibles comme le sucre qui en plus d'être budgétivore constitue un problème de santé publique. Trois actions possibles sont indispensables et immédiatement : - Réduire de manière significative les subventions en faisant des arbitrages sur les produits (plus sur le sucre moins sur les céréales par exemple). - Augmenter de manière significative les prix des produits à subvention non budgétisés (carburant, essentiellement), ce qui permet de faire des recettes budgétaires et une rationalisation de la consommation et donc une augmentation du volume à exporter. La solution de la carte de rationnement (seuil de consommation subventionné) est séduisante, mais son application est quasi impossible dans le contexte administratif et technologique algérien ; elle risque de créer un marché "secondaire" de ces cartes où l'on vend le reliquat non consommé ou carrément des cartes neuves. La seule solution, il faut entamer le processus d'augmentation des prix des carburants pour arriver progressivement au prix d'équilibre. Aujourd'hui, le prix du carburant est le 1/5 de son prix réel, donc il est possible de l'augmenter pour, au moins, le ramener à un rapport de 1/3 et ainsi continuer à faire bénéficier le consommateur algérien d'un bonus de pays producteur d'hydrocarbures. - Préparer immédiatement l'administration (administration des collectivités territoriales, agences publiques) à élaborer les fichiers des personnes qui ont réellement besoin d'un soutien et ainsi allouer la subvention directe sous forme monétaire aux personnes. Entretien réalisé par : K. R.