Entre la répression et le libre exercice du droit à manifester, le gouvernement du président Béji Caïd Essebsi a choisi finalement la deuxième voix, en laissant les Tunisiens défiler dans les rues de Tunis contre son projet de réconciliation économique et financière. Des centaines de Tunisiens sont sortis, hier après-midi, dans la rue, pour demander au gouvernement le retrait du projet de loi sur la réconciliation économique et financière, malgré l'interdiction formelle du ministère de l'Intérieur de toute marche ou tout rassemblement à travers tout le pays. Lancée à l'appel de cinq partis et des organisations de la société civile, la manifestation d'hier a eu lieu sous un dispositif sécuritaire renforcé, mis en place dès le début de la matinée, ont rapporté les médias tunisiens. Les accès au boulevard Habib-Bourguiba ont été soigneusement filtrés. Les contrôles étaient systématiques, comme l'ont montré les journaux télévisés tunisiens. Mais bien que l'objet de la marche fût le même, à savoir celui de manifester contre le projet de Béji Caïd Essebsi, les Tunisiens ont marché en ordre dispersé. Trois marches ont, en fait, été organisées sur des itinéraires différents, ont relevé les journaux en ligne et les radios locales à Tunis. La première a été organisée par le Front populaire, al-Massar et le Parti socialiste de gauche, rejoints par un collectif de la société civile proche de la mouvance socialiste et communiste tunisienne. La deuxième marche a été initiée par un bloc de cinq autres partis politiques : le Parti républicain, le Courant démocratique, l'Alliance démocratique, le Mouvement du peuple et Ettakatol. Ces derniers ont rallié à leur manifestation, qui a commencé à 15 heures, le collectif de la campagne "Manich Msameh (je ne pardonne pas, ndrl)", tous déterminés à faire retirer le texte de loi en question, le considérant comme un moyen de blanchir les fonctionnaires corrompus et les hommes d'affaires qui ont organisé, du temps de l'ancien régime de Zine al-Abidine Ben Ali, un véritable mouvement de fuite des capitaux. Le Congrès pour la République (CPR) a préféré, quant à lui, organiser sa propre manifestation dans la capitale, ce qui a contraint les autorités à doubler de vigilance, en raison du risque d'attentats terroristes, comme l'avait expliqué le ministre de l'Intérieur Najem Gharsali, pour justifier son refus de délivrer les autorisations demandées par les organisateurs de ces manifestations. Une autre marche a réuni, par ailleurs, plus d'une centaine de personnes à Sfax, à l'appel du Front populaire et d'Al-Massar, ainsi que par quelques associations et organisations de la société civile locale, qui ont tenu aussi un sit-in devant le siège de la mairie de la ville, a rapporté la radio Mosaïque FM. Le mouvement islamiste, proche des Frères musulmans, Ennahda de Hamed el-Ghannouchi, a refusé de soutenir ces marches. Pour sa part, Réda Belhadj, un des leaders de Nidaa Tounes, le parti dont est issu le président Essebsi, a affirmé, dans une intervention sur les ondes de Mosaïque FM, qu'"il n'est pas question de retirer le projet de loi sur la réconciliation économique. Toutes les propositions seront soumises au Parlement pour étude (...) la majorité des partis et des acteurs de la société civiles a compris le débat (...) il y a une minorité qui s'y oppose". Il faut toutefois retenir que l'alarmisme des autorités tunisiennes n'a pas eu raison de la détermination des Tunisiens à sortir manifester pacifiquement dans la rue, réaffirmant ainsi leur volonté de tourner définitivement la page des pratiques de l'ancien régime de Ben Ali qui ne laissait aucune possibilité au peuple d'exprimer son avis sur la gestion des affaires de leur pays.