On entend dire que l'islam est malade. Si c'est le cas c'est par la faute des musulmans. Une chose est sûre, cependant : il y a un malaise. Pour y remédier, il faudra relever deux défis : dire l'islam, en fidélité avec le message du Prophète (Asws) et réactiver l'ijtihad (effort sacralisé de compréhension). Les deux chantiers peuvent être concomitants. Pour revenir au malaise, il est évident que le diagnostic autant que le remède doivent faire l'objet de recherches et de travaux collectifs. Ce sera un chantier immense qui devra être confié aux théologiens, aux islamologues et aux savants dont la compétence et l'intégrité morale sont réputés indiscutables. Sans exclure les traditionnels mandarins car le Coran recommande la concertation. On y conviera les philosophes, les hommes de science, les économistes, les sociologues, les jeunes, hommes et femmes bien évidemment. Pour mieux poser le diagnostic, il faudra y consacrer beaucoup de temps et d'énergie et commencer par procéder à un état des lieux dans l'ensemble des pays musulmans et dans le reste du monde. Les musulmans et les non-musulmans — particulièrement les jeunes — s'interrogent sur cette religion. Beaucoup sont dans l'expectative ou dans le doute. Ils ont besoin de réponses claires. On leur parle de tolérance, mais ils ne voient que la violence. On leur parle de paix, mais ils ne voient que la guerre. On leur dit que c'est la religion du juste milieu mais ils ne voient que des extrémistes et des assassins qui promettent l'enfer au nom de l'islam. Souvenons-nous ! C'était il y a quelque temps sur Internet. Quelque part au Nigeria, on distingue la tête d'une femme enterrée dans le sable jusqu'au cou. Des pierres viennent se fracasser sur sa tête. Elle est accusée d'adultère. À Riyad, en Arabie saoudite, sur la place publique, un homme a les yeux bandés et les mains noués derrière le dos. Il est à genoux, la tête penchée en avant. Il va être décapité devant témoins. Au Pakistan, un homme reçoit des coups de fouet en public. Je ne sais s'il y survivra. Il est accusé d'adultère. Et à chaque fois on nous dit : c'est l'islam, c'est la charia et c'est ainsi. Trois images qui font honte aux musulmans. Comme tous les gens sensés, on se dit que ces musulmans-là, sont des barbares qui n'ont rien compris à l'islam mais on ne peut cacher plus longtemps un malaise profond. Un exemple : Dans la sourate 2 verset 24, le Coran nous dit : "Administrez à la femme et à l'homme coupables de fornication cent coups de fouets chacun. Le respect de la loi de Dieu exige que vous n'ayez aucune pitié pour eux, si vous croyez en Dieu et au jugement dernier. Ce châtiment devra être exécuté en présence d'un groupe de croyants." Aucune ambigüité dans le verset. Y aurait-il un sens caché, une autre lecture ? Ou bien est-ce tout simplement un exemple de versets parmi d'autres, qui appellent et justifient un effort sérieux d'exégèse et d'explication ? Il faudra bien répondre à des questions légitimes posées aux docteurs de la foi depuis des siècles et restées sans réponses convaincantes à ce jour. Il y a donc incontestablement un malaise, aggravé depuis quelque temps par des éléments pathogènes internes et externes à notre société. Commençons par balayer devant nos portes et par mettre les pendules à l'heure. Nous avons un besoin vital d'entendre une autorité nationale nous dire l'islam et ne plus dépendre d'un clergé auto-construit ou de voix qui viendraient d'un improbable Vatican. Peut-être sommes-nous en retard d'une réponse à telle question relative à la jurisprudence ou à telle autre spécifiquement sociétale ? Ou que nous ne sommes pas arrivés, à un niveau de questionnement sérieux, parce que plus occupés à résoudre l'équation yajouz-layajouze imposée par les néo-prédicateurs, qu'à réactiver l'ijtihad ? Sans doute par ignorance ou à cause d'une mauvaise formation religieuse. Le niveau dramatiquement déficient de nombre de nos imams en est la cause principale. Stephen Hawking avait écrit : "Le plus grand ennemi de la connaissance n'est pas l'ignorance mais l'illusion de la connaissance." La télévision, la presse et certains prêches parfois pathétiques, nous le rappellent tous les jours. Il faut mettre fin à l'imposture. "Sois conciliant, ordonne le bien et écarte-toi des ignorants." Coran 7/199. Nos ignorants sont légion. Ils sont à l'origine de dégâts considérables. Du reste, notre ministre des Affaires religieuses a pointé récemment nos lacunes avec beaucoup d'humilité et de clairvoyance. Sa détermination ne laisse aucun doute. Il nous appartient à tous de l'accompagner dans son vaste projet de remise en ordre et de rationalisation des structures en charge du culte. Hors de toute influence d'où qu'elle vienne, sauf celle de retrouver le lustre de nos traditions religieuses et de préserver l'authenticité du message coranique. Il n'a pas dit autre chose en rendant hommage à nos parents, à nos oulémas et à nos sociétés savantes soufies. Nous devons aussi soutenir le ministre dans sa démarche pour une meilleure formation des imams, le respect du dialogue des religions et l'ouverture vers les autres comme au temps de l'islam des lumières. La mise à l'écart des agitateurs fait partie des urgences, et il est de notre devoir d'exiger que la justice passe quand, par exemple, un prédicateur réclame la tête de Kamel Daoud ou que souffle un vent inquisitorial dans la rue, sur les plages et dans les mosquées. En définitive, il s'agit de retrouver nos fondamentaux et de réconcilier l'ensemble des Algériens en les mettant définitivement à l'abri de l'influence des forces réactionnaires et conservatrices. C'est alors que nous pourrons passer à l'étape suivante et apporter notre contribution à la réflexion collective au sujet de l'islam. Ce ne sera pas facile, car les adversaires de la réforme et du réveil de la civilisation arabo-musulmane ont pour eux l'argent, la volonté de puissance et des bataillons d'hérétiques. Leur dessein est clair : en faisant main basse sur la religion, ils essaieront d'asservir davantage de croyants. Ils voudront dominer le cœur avant de pervertir l'esprit. Si l'islam n'est pas malade, il est incontestablement pris dans une tempête, et il y a tout lieu de craindre que la raison finisse par se fracasser contre des traditions imposées par un dogme mal compris. "En cas de conflit entre la raison et la tradition, c'est à la raison qu'appartient le droit de décider" (Mohamed Abdou). La raison est l'ennemi de l'hérésie et les hérétiques sont depuis longtemps parmi nous. Leurs mandants sont insolemment riches et tristement conservateurs et obscurantistes. Ils sont entrés chez nous subrepticement et ne cessent depuis d'instiller le doute et la suspicion. Nous n'avons pas le même sens de l'évolution et du progrès. Pour eux, innovation signifie hérésie. Chaque vendredi, on entend dans nos mosquées le même syllogisme auquel on ne prête pas assez attention : "Toute innovation est hérésie. Toute hérésie est faute. Et toute faute mène en enfer." Nous voilà prévenus. Dans leur grande majorité, ils refusent d'entendre parler de réforme (islah), au prétexte de préserver le sacré. Manière bien hypocrite de cadenasser les portes de la pensée critique pour mieux corseter le Coran, à l'instar de ce que firent les quatre fameuses écoles de la jurisprudence islamique (madhahib), il y a dix siècles. Les musulmans découvrent avec effarement ce qu'ils appelleront la "fermeture des portes de l'ijtihad", prélude à une longue période de glaciation de la pensée et de la société islamiques qui durera dix siècles. Rien d'étonnant dès lors de constater que lorsque le religieux est inféodé au politique et que la mosquée est au service du palais, il y a lieu de parler de corruption morale. Alors que faut-il faire ? D'abord, combattre précisément cette corruption morale par la seule force du dialogue et de la raison. Les musulmans sincères ont le droit d'être éclairés pour mieux répondre à ceux qui les accusent d'être violents, misogynes et rétrogrades. On ne peut réfuter l'accusation quand on constate la situation déplorable de la femme et le traitement qui lui est réservé dans nos sociétés. Il ne suffit pas de proclamer que c'est faux ; il faut le prouver, tout comme il ne suffit pas d'être convaincus pour convaincre. À moins d'être naïf ou aveugle, on ne peut prendre notre part au progrès universel alors que le wahhabisme et le salafisme s'emploient à nous ramener au Moyen-Âge. Ensuite, procéder à un examen de conscience individuel, accomplir un travail sur soi (grand djihad ou djihad ennefs) et exercer une réflexion profonde pour une meilleure compréhension des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Nous aurons donc, pour l'heure, deux défis à relever : Le premier consiste à retrouver nos racines, nos traditions et notre authenticité et à leur redonner force et vigueur. Le second à prendre notre part dans la réforme de l'islam pour autant qu'elle induise une connotation toujours positive qui signifie dynamisation, renouvellement et participation à l'histoire et à l'aventure du monde. La tâche est difficile et les enjeux sont déterminants pour notre avenir. Il y va de notre survie et de celle de la civilisation arabo-islamique. Il suffit pour cela de rester fidèle à nos promesses et de revivifier la foi pour soulever les montagnes. S. K. Cinéaste, auteur Chercheur associé à l'IRIS Paris